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Le mouvement de libération de l’entreprise

14/9/13


La Vie éco


Boîte à outils

 

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Se libérer de l’entreprise, c’est cesser -comme le soutiennent implicitement les approches managériales- d’imaginer une entreprise séparée du reste du monde par des frontières juridiques, spatiales et culturelles. En matière de gestion des ressources humaines, le concept de carrière nomade s’est largement vulgarisé en n’abordant plus celle-ci comme un chemin limité aux frontières de l’organisation mais ouvert àdifférentes institutions.

Maurice Thévenet

 

Beaucoup de chefs d’entreprises ou de spécialistes du management se permettent encore de donner des conseils à l’Etat ou à la société en général, comme si les institutions de l’économie étaient en avance, comme si les entreprises étaient l’avant-garde de la société nouvelle. A voir les entreprises batailler avec l’intégration des réseaux sociaux, il n’est pas inutile de se demander si l’institution n’est pas en retard plutôt qu’en avance sur son temps. La piètre image des entreprises et de leurs dirigeants dans les enquêtes d’opinion, la stigmatisation de tout ce qui s’y passe de mauvais, que cela concerne la production de risques psychosociaux, la détérioration de l’environnement ou l’épuisement des ressources : voilà autant de phénomènes qui décrivent une entreprise qui court derrière les évolutions de son temps, ou un temps qui la pousse au musée. Les caricaturistes ne représentent-ils pas encore le patron en haut-de-forme devant une usine qui fume et des salariés en salopette ?
Toutes les institutions ont connu de profondes remises en cause : l’armée, la famille, l’Eglise ou l’école. L’entreprise n’est-elle pas la dernière à connaître ce mouvement difficile à caractériser mais qui s’inscrit dans le long chemin de toutes les libérations. L’homme post-moderne se réjouit de tout ce dont il s’est libéré pour fonder la société plus heureuse qu’il connaît enfin : il s’est libéré de Dieu avec Nietzsche, libéré des forces de l’économie et du capital avec Marx, libéré du poids de son inconscient avec Freud, libéré des contraintes ménagères avec Moulinex, ne serait-il pas enfin temps de le libérer du travail dont on connaît les risques et les malédictions ? Les méfaits du travail sont aussi ceux de l’entreprise car les contempteurs de tous ces maux pointent l’entreprise -au singulier- et le management comme leurs principaux responsables. L’heure est-elle venue enfin de se libérer de l’entreprise ?

La libération est commencée

Se libérer de l’entreprise, c’est cesser -comme le soutiennent implicitement les approches managériales- d’imaginer une entreprise séparée du reste du monde par des frontières juridiques, spatiales et culturelles. Plusieurs brèches se sont déjà produites dans les remparts de l’institution. Prenons-en deux illustrations. Les frontières de l’organisation ont été remises en cause par les partenariats et alliances où l’entreprise a d’autres relations que de simple concurrence avec ses partenaires. Dans ces formes de coopération institutionnelle, les entreprises conservent leur personnalité et leur culture mais elles combinent leurs stratégies, mélangent leurs équipes, font front commun dans certaines opérations en maintenant leur liberté. Nous connaissons la particularité d’Airbus mais aussi toutes les formes plus ou moins réussies de joint-ventures qui fleurissent de par le monde dans l’accès à certains marchés comme la Chine.
Les évolutions promises par les prospectivistes (Rifkin, 2013) dans la troisième révolution industrielle en sont une autre illustration. Grâce à internet on peut imaginer des coopérations d’acteurs indépendants pour produire des biens dans le cadre de réseaux et non plus de structures traditionnelles : les clients ou la crowd sont sollicités pour faire les études de marché et de prix, les tests-produit et la publicité. Le développement du nombre d’indépendants dans nos économies développées (pas simplement avec les auto-entrepreneurs locaux) en est un bon exemple.
En matière de gestion des ressources humaines, le concept de carrière nomade s’est largement vulgarisé en n’abordant plus celle-ci comme un chemin limité aux frontières de l’organisation mais ouvert à différentes institutions dans le cadre du primat d’un projet individuel et singulier. On voit se développer aujourd’hui des pratiques de gestion partagée des ressources humaines sur un territoire en faisant évoluer les personnes d’une entreprise à l’autre comme si la GRH s’exonérait des frontières organisationnelles. Sur un même projet ou pour une même tâche des personnes collaborent sans avoir le même employeur mais avec une gestion opérationnelle unique.
A la base de toutes ces illustrations, il ne faut pas seulement voir des pratiques nouvelles suscitées par l’évolution des affaires et de l’économie. Il en va aussi de l’évolution anthropologique, des changements permanents de nos conceptions sociales et sociétales. Ainsi, il faut remarquer le lent mouvement de l’individualisme vers le singularisme. Avec le premier, il s’agissait de positionner l’individu à côté de l’institution en respectant son indépendance et son identité alors que dans la société singulariste, il ne s’agit plus de savoir comment la personne peut contribuer à l’institution mais comment cette dernière est redevable, vis-à-vis de la personne, de la construction de sa singularité.
Nous avons d’autres signes de ce renversement de perspective avec de nouvelles conceptions de l’équipe qui pointent. Cette notion était un fondement des approches managériales parce qu’elles cristallisaient l’importance du collectif, à l’image même de l’institution ; plus encore l’équipe était une valeur, une sorte d’aboutissement de la vie sociale dans une coopération solidaire qui garantissait par-dessus le marché l’efficacité du travail. Un ouvrage récent montre comment les équipes, certes utiles pour favoriser l’exécution et la qualité de vie au travail, ne sont pas le meilleur moyen de développer la créativité et ce, en rompant avec toutes les idées reçues sur le fait que l’on est toujours plus intelligent à plusieurs !

La libération doit continuer

Le mouvement doit continuer. Voici au moins trois pistes qui montrent comment une vision trop «entrepro-centrique» peut évoluer encore. L’approche managériale de l’interculturel, popularisée au rythme du développement international des entreprises et de la mondialisation, était généralement assez simple. Il s’agissait de prendre en compte la diversité des cultures et d’aider des professionnels à la culture (nationale et organisationnelle) forte à prendre en compte la diversité et à s’y ajuster pour intégrer et transcender cette diversité. L’observation des grandes entreprises internationales actuelles ou un simple voyage dans de grandes capitales de l’économie mondiale, comme Londres ou Singapour, montre l’émergence d’une nouvelle catégorie de managers qui ne semblent plus appartenir à une culture particulière mais plutôt à une sorte de caste a-nationale : la nationalité de leur passeport n’a plus rien à voir avec la langue utilisée, le contexte national de leur formation, la localisation du siège social de leur employeur ou le mode d’éducation de leurs enfants et encore moins avec leur lieu de résidence. Un article récent sur L’Oréal témoigne de ce phénomène en pointant moins une évolution sociologique qu’un changement de pratiques managériales de la part de cette firme. La grande marque de cosmétiques travaille à une croissance mondiale et gère ses talents en conséquence. Pour assurer son développement elle recrute et développe un vivier de talents appartenant à plusieurs cultures. La multiplicité des origines culturelles de chaque personne développerait leur sensibilité aux différences culturelles des marchés locaux, elle les rendrait attentifs aux subtilités des différentes langues, elle faciliterait la constitution et le bon fonctionnement d’équipes multiculturelles et la relation de celles-ci avec des patrons ou filiales encore trop monoculturels.
Molinsky va encore plus loin dans cette direction en suggérant aux managers, pour être efficaces dans des contextes multiculturels, de «prendre le risque d’être inauthentiques et incompétents» afin de savoir se comporter de manière contraire à leurs valeurs et leurs croyances. Comme si la personne pouvait et devait sortir des frontières de son identité culturelle (nationale et organisationnelle) pour réussir. Dans ce même article, Davenport et Iyer suggèrent aux managers de ne plus gérer leur carrière et leurs entreprises en utilisant les modes traditionnels du changement dans l’organisation, du bon fonctionnement des systèmes et procédures et de la marque employeur. La résolution de problèmes aussi divers que le staffing et la réduction des coûts peuvent surtout bénéficier d’une bonne utilisation des réseaux sociaux qui permettent de partager les problèmes au-delà des frontières de l’entreprise en utilisant efficacement les réseaux sociaux pour cibler les bonnes communautés et réseaux qui y apporteront les solutions : c’est toute la politique traditionnelle dans l’entreprise qui est ainsi remise en question.
Dans ce même article, Davidson s’amuse à battre en brèche nos méthodes de travail traditionnelles en remettant en cause les bienfaits de la concentration. Les animateurs de réunion, comme les managers sont souvent excédés par la dispersion de leurs collaborateurs avec leur multitasking en réunion : manipulation du smartphone, ouverture de fenêtres multiples sur l’ordinateur et vagabondage de l’attention au gré des sollicitations de leurs sites et réseaux favoris. Ce serait en fait pour l’auteur un moyen de gagner en créativité, en ressourcement et en développement de compétence. Là encore, c’est en se libérant des idées reçues sur les facteurs d’efficacité personnelle au travail que nous assistons. Ce n’est plus de la libération mais de la déconstruction !

Conclusion 

C’est souvent en période de crise que surgissent des personnages, des entreprises et des méthodes nouveaux et il faut faire l’effort de remettre en cause en permanence les hypothèses implicites de nos modes de management comme celles du travail dans le contexte de l’entreprise traditionnelle. 
L’histoire nous apprend aussi que les organisations ont toujours été très habiles pour intégrer et digérer des évolutions dont on pensait qu’elles remettraient en cause les vieilleries organisationnelles : beaucoup d’entreprises innovantes ont rejoint les modèles traditionnels de leurs aînées sous peine de disparaître.
Une telle approche n’empêche pas cependant d’en revenir à un principe de précaution. 
L’histoire montre aussi que des entreprises avec une forte culture et des méthodes traditionnelles ont survécu et se sont développées au fil du temps pour peu qu’elles fassent l’effort permanent de renforcer la dialectique entre les traits de leur culture et les problèmes rencontrés. Elles avaient compris que dans la tempête, la référence à des fondements solides peut constituer une force pour peu que l’on ne s’y réfugie pas frileusement.

Car ce n’est pas de l’entreprise qu’il faut se libérer mais plutôt de la croyance qu’elle constituerait la fin de l’histoire.

 

La Vie éco
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