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La "mission" de l'entreprise : leurre ou promesse

29/4/14

 
 
 
 





 
25/04/2014 | Daniel Hurstel | Autres | Lu 686 fois | aucun commentaire

La "mission" de l'entreprise : leurre ou promesse ?

LE CERCLE. Vous pensiez que le but de l’entreprise était d’accroître ses profits. Pas du tout ! Vous vous trompez : son but est d’accomplir sa mission. Pas une semaine ne s’écoule en effet sans qu’une grande entreprise ne nous annonce qu’elle poursuit une mission et que c’est là sa raison d’être.

Le terme de mission s’utilise aussi bien en français qu’en anglais et ce sont donc des sociétés du monde entier qui affichent leur "mission". Ainsi, Danone dit avoir pour mission d’"apporter à tous une alimentation de qualité (…)", de "cultiver le goût (…)", de "nourrir les tout-petits, les personnes vulnérables comme celles en bonne santé", d’"adapter nos produits à toutes les cultures (…)", Starbucks, d’"inspirer et nourrir l'âme au gré des rencontres, café après café, d'une communauté à l'autre", Shell, de "contribuer à couvrir la demande énergétique croissante de manière économique, écologique et socialement responsable" et Intel Corporation, de "combler [ses] clients, salariés et actionnaires en mettant au point (…) les plateformes et innovations technologiques essentielles à notre façon de vivre et de travailler".

Une mission est une tâche qu’on se donne avec le sentiment d’un devoir à accomplir, nous dit à peu près le Petit Robert ! Ceux qui croyaient que le but de l’entreprise était de faire des profits et de les distribuer à ses actionnaires (ce que l’on appelle la maximisation de la valeur actionnariale), en seront pour leurs frais ; ce qui guide les choix de l’entreprise, c’est sa mission.

Leurre ou promesse ? Leurre, si la mission n’est qu’un artifice servant à donner une image flatteuse de l’entreprise et attirer plus de clients. Dans ce cas-là, la maximisation de la valeur actionnariale poursuivrait son emprise : elle l’accroîtrait même, puisque l’entreprise pourrait sans vergogne puiser dans le registre de l’éthique (se donner une mission) pour accroître ses profits. Promesse, si l’entreprise nous annonce que demain, confrontée à un choix de stratégie ou d’organisation, elle sera guidée par cette mission ou tâche qui dépasse son intérêt immédiat et qu’elle s’est donnée (1).

L’efflorescence des missions, l’influence croissante de la responsabilité sociale et environnementale, l’élargissement des textes qui y font référence, la critique structurée du dogme de la maximisation de la valeur actionnariale, l’adoption aux États-Unis et en Belgique par exemple de nouvelles formes de sociétés qui permettent de se doter d’un but sociétal, le développement au sein de grandes entreprises de projets de social business (c’est-à-dire de projets dont la vocation première est de répondre à une problématique sociale), le succès rencontré par la théorie de la "valeur partagée" (2) et enfin la force avec laquelle certains entrepreneurs défendent l’intérêt de l’entreprise par rapport à des demandes d’actionnaires guidés par le profit à court terme, sont tous des signes d’une promesse.

Ils montrent que l’entreprise, soit par volonté interne, soit sous la pression externe, accorde de plus en plus d’attention à la conjugaison de son activité et de l’intérêt général. Cette notion d’intérêt général, imprécise en droit français et inconnue dans les pays anglo-saxons, s’enrichit de la présence à ses côtés de celle plus pragmatique de "bien commun" qu’elle soit utilisée au pluriel par Elinor Ostrom (3), co-prix Nobel d’économie en 2009, ou au singulier par le philosophe François Flahault (la "valeur" de l’activité d’une entreprise serait mesurée notamment par rapport à son impact sur le bien commun) (4).

Soyons prudents : le signe est indice et non preuve. Des signes contraires restent forts. Il y a d’abord la concentration croissante de la détention du capital de grandes sociétés par un nombre restreint d’investisseurs professionnels. Ceux-ci s’obligent eux-mêmes à rechercher des rentabilités fortes à court terme et à les "vendre" à leurs pourvoyeurs de fonds ; ils exercent leurs droits de vote dans les grandes sociétés en conséquence sans grande attention à la "mission".

Il y a aussi l’importance croissante des hedge funds dits "activistes" qui, pour certains d’entre eux, utiliseront leurs droits de vote, mais aussi l’activisme (lettres ouvertes, déclarations en assemblée générale, renforcement des dirigeants…) afin d’imposer leur propre vision de l’intérêt de l’entreprise, et ce parfois en fonction de leur seul intérêt propre d’investisseur (5).

Alors quels signes vont prévaloir ? "Les deux mon capitaine" aurais-je tendance à répondre. Qui décidera de l’issue ? Nous.

Je m’explique : la fragilité de la notion de mission vient du flou qui l’entoure (6). La notion est apparue spontanément et n’est pas le fruit d’une réflexion ; l’emphase du terme "mission" en est d’ailleurs le reflet. Une promesse autorise les tiers à demander des "comptes" ; afficher une mission dans des documents qui n’ont aucun caractère contractuel et qui sont contredits par l’ensemble des autres documents émanant de l’entreprise, revient à faire le lit de déceptions futures graves et ainsi accroître encore le divorce entre l’entreprise et la Société.

Au contraire, décrire comment la mission de l’entreprise structure son organisation et ses choix. Articuler la mission dans un document (à côté des statuts qui ne font que répartir les pouvoirs), et ainsi obliger chaque acteur de l’entreprise (actionnaires, dirigeants, employés) et chaque partie prenante (fournisseurs, clients…) à en tenir compte dans son interaction avec la société. Clarifier le lien entre profit et mission. C’est ce qui permettra de faire advenir la promesse ; c’est ainsi que la mission sera le facteur de changement de paradigme tant souhaité, mais qu’"Anne ne voit toujours pas venir".

(1) Lynn A. Stout, The Shareholder Value Myth : How Putting Shareholders First Harms Investors, Corporations and the Public, 2012.

(2) Michael Porter et Mark R. Kraemer, Creating Shared Value, Harvard Business Review, janvier-février 2011. Marc Pfitzer, Valerie Bockstette, Mike Stamp, Innovating for Shared Value, Harvard Business Review, septembre 2013.

(3) Elinor Ostrom, Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press, 1990.

(4) François Flahault, Où est passé le bien commun ? Éd. Mille et une nuit, 2011.

(5) Delaware’s top judge warns over activism, Financial Times, 24 mars 2014.

(6) Lynn A. Stout, The Problem of Corporate Purpose, Issues in Governance Studies, juin 2012.

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