Par Gilles Verrier,
Directeur général d’Identité RH
Co-Directeur de l’Executive master RH de Sciences Po
Hier, pour ceux qui organisaient et animaient un travail normé et taylorien, l’enjeu premier résidait dans la qualité de l’exécution. En découlait un mode de management directif, centré sur la tâche et le contrôle, consacré au « comment », pas au « pourquoi ». Mais le contenu du travail s’est radicalement transformé, nous le vivons tous au quotidien. Désormais, l’enjeu premier, aussi bien pour l’individu que pour le collectif, est dans l’engagement, l’intelligence des situations et la prise d’initiatives : ce sont ces éléments qui conditionnent la performance. Et les formes contemporaines du travail requièrent un autre mode de management.
Par ailleurs, l’exercice de l’autorité a radicalement changé en quelques décennies dans la vie hors travail. Pour ne prendre qu’un exemple, la cellule familiale fonctionne désormais sur le mode de l’écoute et de l’échange, de la prise en compte de l’avis de chacun. Même lorsque la décision relève de l’adulte seul, elle est expliquée. Alors que trop souvent, l’entreprise en reste aux approches anciennes du management. Celles-ci ne correspondent donc plus ni au besoin, ni à l’époque actuelle. Cette double inadéquation provoque tensions et inefficacité.
Si la même personne exerce hors travail une forme d’autorité moderne et en tant que manager une autorité ancienne et inadaptée, c’est bien que les facteurs bloquants ne relèvent pas d’abord de l’individu, mais de l’entreprise et de ce qu’elle génère.
Des travaux récents, ainsi que quelques expériences d’entreprise, ont crédibilisé l’hypothèse d’une disparition à terme du management, les fonctions habituellement dévolues au manager (régulation, animation, organisation, information, etc.) étant désormais éclatées au sein de l’équipe. Mais nous sommes encore loin de la généralisation de cette approche.
Au quotidien, le manager reste l’interface principale du collaborateur avec l’entreprise. Pour le meilleur et pour le pire : le manager est le vecteur premier de l’engagement et il constitue la première cause de démission. Plus globalement, le niveau de performance du collaborateur est d’abord dépendant de la qualité de l’animation de son manager.
Or dans de nombreuses entreprises, la qualité des pratiques de management varie très fortement selon le manager. Elle n’y dépend de fait que de l’aptitude individuelle à exercer cette fonction. Ces organisations ne peuvent s’arrêter à ce constat : cela signifierait qu’elles n’assument pas leur responsabilité. En effet, l’entreprise a les managers qu’elle mérite, ceux qu’elle a produits. C’est sa responsabilité que de veiller à ce que soient déployées des pratiques de qualité. En confiant des collaborateurs à un manager, elle se doit de créer les conditions pour que ceux-ci soient bien managés.
L’entreprise est donc confrontée à une question : comment transformer radicalement les pratiques des managers pour qu’elles correspondent au besoin d’aujourd’hui ? Si des mesurettes suffisaient, l’envoi des managers en formation pendant quelques jours par exemple, « ça se saurait, depuis le temps ! »L’enjeu doit être adressé en adoptant un traitement d’envergure qui passe par deux étapes.
Définir une cible managériale
La première consiste à définir ce que l’entreprise attend de ses managers, en formalisant les compétences managériales qui doivent être mises en œuvre. Construites certes à partir des valeurs de l’entreprise quand elles ont été formalisées, ou à défaut à partir de sa culture implicite. Mais pas seulement : les pratiques de management à développer sont celles qui serviront la mise en œuvre de la stratégie, tout en étant cohérentes avec les transformations du travail et l’animation qu’elles impliquent.
Reste ensuite à faire de cette cible managériale un outil opérationnel et concret. Il s’agira d’illustrer ce cadre managérial avec des situations de management observables dans l’entreprise. Associer les managers en leur faisant produire eux-mêmes ces situations à partir de bonnes pratiques qu’ils ont vécues permet de coller à leur réalité et de développer l’appropriation du résultat construit. Ainsi, l’entreprise aura produit un descriptif concret des compétences managériales à mettre en œuvre au quotidien pour que vive la stratégie, en cohérence avec la culture recherchée.
Des réponses organisationnelles et des réponses appliquées aux personnes
La seconde étape de la démarche requiert de l’entreprise qu’elle mette en place deux types de réponses.
Les réponses organisationnelles tout d’abord. La structure managériale doit être alignée sur la cible : inutile de confier ces responsabilités à un manager si la charge de travail découlant de la configuration de son poste ne lui permet pas de l’exercer. De la même façon, les processus RH doivent être revus pour être cohérents avec ce repositionnement du manager. C’est sur la base de cette cible managériale que la DRH pourra retravailler les critères de recrutement externe et interne de ses futurs managers. Qu’elle pourra reconstruire sa politique de détection des talents et plus largement de gestion des parcours. Et qu’au global, elle introduira de la cohérence entre les différentes politiques RH appliquées à ses managers.
Les réponses appliquées aux personnes ensuite. L’entreprise devra mettre à la disposition de chaque manager les outils lui permettant de disposer d’une évaluation objective de son niveau de maîtrise de ces compétences. Le plus évident consiste à évaluer la qualité des pratiques de management en situation, à travers leur mise en œuvre effective. Pourquoi introduire les biais inévitables d’autres approches plus indirectes, alors qu’il est possible d’observer en direct ces pratiques ? La responsabilité directe de la qualité de l’activité du manager appartient au manager de ce manager. Celui-ci est donc supposé apprécier son collaborateur sur cette dimension. La limite ici est celle de la qualité de l’évaluateur : le manager du manager n’est pas systématiquement compétent sur ce terrain. Ou alors il y a fort à parier que la qualité des pratiques de management dans l’entreprise est déjà élevée.
Quelles sont les alternatives, ou tout au moins les démarches complémentaires qu’il est possible de mettre en œuvre pour mesurer la qualité des pratiques de management ? Les enquêtes d’opinion des salariés donnent des informations sur la qualité des pratiques de management. Mais outre le fait qu’elles permettent rarement de disposer d’éléments propres à chaque manager, elles masquent parfois la réalité : il existe de nombreuses entreprises dans lesquelles des réponses positives sur les items de management renvoient à des pratiques défaillantes car très en retrait. Les outils de type 360 sont utiles à deux conditions : que les questions aient été construites sur la base de la cible managériale, puis que le déploiement et la restitution soient accompagnés de près, afin d’éviter les remises en cause brutales et déstabilisantes. Certaines entreprises ont développé une autre approche, en mettant en place une démarche structurée d’audit des pratiques managériales.
Il n’est pas toujours possible d’évaluer la qualité des pratiques de management à travers ces démarches, notamment lorsque la personne n’a pas encore charge d’équipe ou tout au moins, n’est pas encore manager au niveau de responsabilité qu’il est envisagé de lui confier. C’est là que les démarches d’assessment sont utiles. Ces exercices de mise en situation doivent être construits à partir de la cible managériale. Ils doivent permettre d’évaluer le manager sur chacune des compétences majeures sur lesquelles il est attendu. De nombreuses études ont montré que la démarche d’assessment est celle qui a la valeur prédictive la plus forte quant aux comportements qui seront mis en œuvre. Dernier impératif pour que la démarche soit pleinement utile : elle doit être menée dans une logique de développement, donc en assurant un retour détaillé et argumenté à l’intéressé et en construisant sur la base des résultats un plan de développement de ces compétences.
Il s’agira ensuite de construire les moyens permettant de développer ces compétences managériales, en utilisant toute la palette des approches envisageables : La formation est bien sûr un des moyens mobilisables. L’expérience montre qu’elle se doit alors d’être « appliquée », sous forme d’ateliers ou workshops. Les mises en situation et les binômes de co-développement peuvent se révéler très efficaces pour développer certaines de ces compétences, de même qu’un accompagnement individuel de type coaching ou mentoring. Sans oublier la voie royale : le développement au quotidien du manager par son propre manager