
Management : Pourquoi l’ambition a-t-elle si mauvaise réputation ?
Vincent Cespedes : Historiquement, les élites bourgeoises et aristocratiques ont toujours valorisé l’ambition pour leurs semblables, tout en prêchant l’humilité pour le reste de la société. Les classes moyennes et populaires ont ainsi intégré l’idée qu’elles devaient se satisfaire de leur condition et réprimer toute volonté de l’améliorer. A l’inverse, le gratin de la société s’est senti obligé de nourrir des ambitions, même lorsqu’il n’en ressentait pas le besoin. D’où l’existence d’individus qui ne désirent pas profondément changer les choses : ils sont ambitieux par convention, mais ils tournent en fait à vide. On a donc un tabou social d’un côté et un devoir moral de l’autre.
Management : Vous déplorez que l’entreprise soit en panne d’ambition…
Vincent Cespedes : Oui, car les deux conceptions que je critique y sont dominantes : d’une part, une ambition «censurante», qui se traduit par une peur panique de l’échec et une incapacité à prendre des risques. De l’autre, une ambition «démonstrative», où l’individu est tenu de montrer qu’il est le meilleur, quitte à aller jusqu’au burn-out. Ces deux aspects contribuent à délégitimer l’ambition aux yeux du plus grand nombre.
Management : Comment se traduit, selon vous, une saine ambition ?
Vincent Cespedes : L’ambition n’est un moteur que si elle s’accompagne de courage et d’envie. Etre ambitieux, c’est traduire sa passion en actes. Pour cela, il faut savoir accepter l’échec. Une personne qui n’échoue jamais ou qui refuse de le reconnaître n’a aucune raison de quitter sa zone de confort. Un ambitieux, à l’inverse, cherche toujours à guérir la blessure d’un échec et à corriger le tir. C’est également une condition sine qua non pour générer de l’ambition chez les autres : un bon tuteur partage sa passion tout en reconnaissant ses propres erreurs.
Management : L’ambition d’un seul individu ne s’exprime-t-elle pas forcément au détriment du groupe ?
Vincent Cespedes : Il ne faut pas confondre l’ambition «démonstrative», qui se traduit par une mise en concurrence exacerbée des individus, et l’ambition «expressive», fondée sur la passion individuelle et l’émulation collective. Je défends ce dernier concept : il permet d’unifier le groupe autour d’un projet. C’est d’ailleurs bien le défi posé aux chefs d’entreprise et aux managers. Le mot latin ambitus – qui signifie «briguer un mandat» – désignait, dans l’Antiquité romaine, le fait de démarcher le peuple pour se faire élire aux diverses magistratures. Aujourd’hui encore, un véritable ambitieux enthousiasme son entourage, qui le perçoit comme un modèle à suivre. Cela engendre une saine émulation, du latin aemulatio, qui désigne le désir d’égaler une personne que l’on admire, de se hisser à son niveau. Ces vocations individuelles se muent en épopée collective. «Tout ce qui monte converge», affirmait le philosophe Pierre Teilhard de Chardin.
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