Un entrepreneur ne doit surtout pas se lancer seul, insiste Olivier Ezratty, dans son guide des start-up high-tech. Pour plusieurs raisons. Explications.
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Peut-on créer une start-up seul ? " Surtout pas. Les chances de réussite de ces entrepreneurs sont plutôt faibles s'ils envisagent de créer une véritable entreprise et de lever des fonds ", insiste Olivier Ezratty, auteur du guide des start-up high-tech.
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J'ai souvent l'occasion d'être contacté, de rencontrer ou de croiser dans divers comités de sélection des entrepreneurs "seuls" dans leur projet. C'est-à-dire qu'ils sont seuls à fonder leur entreprise et qu'ils n'ont pas d'associés opérationnels dans le projet. Ils ont tout au plus des investisseurs plus ou moins investis dans le projet et éventuellement des salariés, le plus souvent des stagiaires embauchés à bon compte. En général, je n'y vais pas par quatre chemins : j'indique le plus souvent à ces entrepreneurs que leurs chances de réussite sont plutôt faibles s'ils envisagent de créer une véritable entreprise et de lever des fonds. Et qu'ils feraient bien toutes affaires cessantes de trouver des associés. La réaction la plus classique est : "mais je ne peux pas les payer !".
Tout d'abord, pourquoi ce préjugé sur les chances de réussite d'un projet qui démarre avec un seul fondateur ? C'est à la fois le résultat de l'observation, d'une certaine logique d'entreprise et aussi lié à des aspects pratiques tous simples.
L'observation
Les entreprises high-tech qui ont réussi ont été la plupart du temps créées par une équipe de fondateurs, et pas par une seule personne. Dans la plupart des cas, l'un des fondateurs avait une dimension plus business que celle des autres et il a rapidement pris le leadership du projet (Jobs vs Wozniak, Gates vs Allen, etc). Les exceptions sont rares et on pense immédiatement à Mark Zuckerberg, le jeune fondateur de Facebook qui en est toujours à la tête. Mais il n'était pas seul au départ, même s'il est resté la seule figure publique de la société depuis son lancement.
La logique
Pourquoi un entrepreneur seul a plus de mal à réussir ? Parce qu'il (a donné le signe qu'il) a raté le premier acte de vente de son projet qui consistait à convaincre d'autres personnes, amis ou relations professionnelles, à prendre le risque avec lui sur son projet. Cela va le handicaper pour trouver des financements. Cela va le gêner pour attirer des talents complémentaires à son profil (qui est souvent, technique). Avec l'effet d'oeuf et de poule suivant : pour attirer un calibre, comme dans la vente et le marketing, il faut pouvoir le payer, mais pour le payer il faut avoir du financement. Et pour avoir du financement, il vaut mieux avoir une équipe en place. Même si certains investisseurs se font fort de vous proposer un dirigeant "business" s'ils trouvent le projet très intéressant.
La pratique
Pour créer une entreprise, il faut mener un nombre incalculable de tâches : techniques, marketing et communication, commerciales, juridiques, financières, etc. Une personne isolée est vite débordée. Elle peut certes se faire accompagner par des ressources externes, mais pour certaines, il est critique d'en disposer en interne de sa structure. Enfin, créer une entreprise, c'est créer un corps collectif, c'est mener une équipe, c'est aussi développer sa capacité d'écoute, puis de management. Tout cela démarre mieux lorsque l'on commence à plusieurs. Les fondateurs peuvent se soutenir les uns et les autres. On évite aussi le syndrome de l'enfermement dans des convictions personnelles trop ancrées.
Pour n'importe quel investisseur (business angel, société de capital-risque, autre), la première qualité d'une startup, c'est son équipe. Bien avant le business plan, le produit et tout le reste. Car tout le succès découlera de la capacité de l'équipe. C'est d'autant plus vrai que de nombreux succès sont le fruit de changements fréquents d'orientation. Voire même de produit.
Pour bien démarrer un projet, il faut donc rassembler dès le début des compétences que l'on trouve rarement sur une seule personne. Avec la technologie d'un côté, éventuellement issue de la re-cherche, et le business de l'autre. Sans compter la capacité d'exécution et d'organisation. Même la technologie nécessite plusieurs compétences, entre la conception du produit et son industrialisation. C'est vrai dans le matériel, dans le logiciel comme dans les services en ligne.
Je croise souvent des équipes d'anciens élèves des mêmes établissements d'enseignement supérieur (grandes écoles d'ingénieur, de commerce, ou universités). Même si leurs têtes sont bien faites, elles sont moins séduisantes que des équipes bigarrées avec des formations et parcours plus divers. Même si en général, les équipes issues d'une même école ne sont jamais constituées de compétences homogènes. Il y en a toujours un qui est plus technique et un autre plus business. Ce n'est pas idéal, mais c'est toujours cent fois mieux que d'avoir un seul créateur de la startup.
Un entrepreneur en herbe est souvent motivé au départ par une idée. Mais avant même de la creuser très en détail, le mieux qu'il puisse faire est de trouver un ou des compagnons de route. En fait, il faut trouver des personnes à même de s'engager dans une création de startup. Cela suppose de ne pas être payé ou d'être très peu rémunéré pendant au moins une année.
Il existe quelques cas de figure typiques en mettant de côté les " serial entrepreneurs " qui savent déjà comment créer une équipe :
- L'entrepreneur est jeune, fraichement ou récemment issu de l'enseignement supérieur (ou pas...). Il peut prendre des risques car il n'a pas ou peu d'obligations familiales (pas d'enfants, etc) et une grande capacité d'apprentissage. Le cas classique est de s'associer avec d'autres jeunes dans le même cas.
- L'entrepreneur est ancien salarié d'une entreprise, souvent cadre. Il peut dans certaines conditions bénéficier des ASSEDICpendant la création de son entreprise. Et encore plus selon les conditions du départ de son entreprise. Il peut aussi choisir de prendre un congé de création d'entreprise, lui permettant de réintégrer son entreprise si son projet tourne court. En général, c'est pour la quitter, après une transaction financière qui donnera un peu de mou pour poursuivre le projet. Le mieux à faire est de trouver des collègues ou relations professionnelles qui souhaitent s'engager également dans un projet. Avec le plaisir de travailler ensemble sans dépendre de son "ancien management".
Un mix des deux cas précédents est possible, et suppose que les réseaux personnels des uns et des autres se croisent.
Les réseaux justement ! Les jeunes entrepreneurs en herbe doivent apprendre à rapidement se constituer un réseau dense d'amis et relations professionnelles. Cela passe à la fois par le monde réel et par le virtuel des réseaux sociaux.
Dans le réel, il y a les conférences et colloques, les salons, les réunions d'anciens élèves, les entreprises où l'on a fait ses stages, les associations diverses. Certains se font aussi aider par leur milieu familial, mais si cela aide bien, c'est loin d'être indispensable. Dans l'enseignement supérieur, on mène souvent des projets pendant ses études. J'insiste toujours pour que mes élèves à Centrale constituent des équipes de 2 à 4 personnes, en évitant les singletons. Les projets "singleton" fonctionnent rarement bien. Et sont de mauvais augure sur la capacité du porteur à constituer... une équipe !
Dans le virtuel, on peut bien entendu s'inscrire sur LinkedIn, Facebook et autres Twitter, mais c'est largement insuffisant. Le mieux est de se faire remarquer par des contributions : créer un blog thématique, intervenir dans des forums ou contribuer à un projet (open source, par exemple). Ce sont des manières de se faire repérer et d'augmenter les chances de rencontres (profes-sionnelles). Le virtuel a ceci de surprenant que l'on peut se faire repérer comme un talent avant même d'entrer sur le marché du travail. C'est une pratique courante chez les étudiants entrepreneurs dans l'âme.
Revenons au sujet du "pourquoi s'y prendre très tôt". C'est lié à l'appropriation du projet de l'entreprise. Plus tôt vous impliquez des associés, meilleur sera le projet et meilleure sera son appropriation par l'ensemble des associés. On soutient plus facilement ce que l'on a contribué à concevoir qu'un existant tout cuit. Ensuite, on sera mieux préparé pour chercher des finance-ments. Et on pourra paralléliser des tâches critiques de la création de l'entreprise : créer le produit, trouver des clients, chercher des financements.
Vous pouvez considérer que vous pouvez créer votre petite entreprise à vous tout seul, sans collaborateur. Cela s'appelle uneentreprise unipersonnelle ou de l'auto entrepreneuriat. On peut très bien en vivre, notamment sur Internet. Mais ce n'est pas l'objet spécifique de ce guide, qui est plutôt d'aider à bâtir une entreprise qui créé des emplois et atteint une taille critique !