Raymond a fait de son entreprise un modèle intergénérationnel dès 2013. Il s'en félicite en 2023 !
30 juin 2023, 70 ans, Raymond prend sa retraite. Le mot est détestable et ne vaut pasjubilación, l’équivalent en espagnol. Comme le dit Philippe Bouvard qui continue d’animer fièrement son émission culte à 93 ans, ce mot est pour lui encore « plus haïssable que pour un militaire ». Raymond voudrait mettre la retraite à la retraite, il ne compte pas s’arrêter là. En cette année 2023, deux millions de retraités travaillent encore, le plus souvent pour des raisons économiques. Les « petits boulots », réservés aux jeunes autrefois, font maintenant l’objet de concurrence entre jeunes et retraités. Des conflits de générations émergent là où on ne les attendait pas.
Régulièrement, à la réunion de la Chambre des métiers, ses confrères paraissaient dépourvus, désarçonnés face aux attitudes et aux comportements inattendus de la génération Z. Raymond voyait cela comme un signe de décalage entre ces chefs d’entreprise et la société. Il ressortait de ces rencontres toujours plus déterminé à cultiver son approche de manager intergénérationnel éclairé.
Au début de la décennie, il s’était fixé deux grandes directions : promouvoir la coopération intergénérationnelle, centrée sur les personnes, et adapter son entreprise au nouveau contexte générationnel. Ces voies ont imposé à son équipe de direction une remise en cause de ses pratiques de management.
Au cours de leur premier séminaire, inhabituel dans le monde de 2013, les managers s’étaient engagés sur diverses pistes pour faire travailler toutes les générations ensemble. Progressivement, le management intergénérationnel est apparu comme une condition de pérennité de l’entreprise. En quelques années, il s’est même placé au cœur de la philosophie managériale « pour transmettre les savoirs et faire grandir les équipes ». Aujourd’hui, avec le recul et une bonne réflexion sur son expérience, Raymond l’autodidacte énumère fièrement « ses » dix clés de succès.
En 2013, faire connaître, gérer et valoriser les différences entre générations devait apporter créativité, innovation et performance. C’était le nouveau motto. Pour donner une réalité à ce pressentiment qu’elle partageait, la direction avait confié l’analyse du fonctionnement de la menuiserie à une équipe multigénérationnelle de représentants de différentes fonctions. Ce groupe inattendu avait rapidement dressé une vision très complète des constats et produit une liste fort riche de solutions possibles. En généralisant cette pratique de groupes multigénérationnels, l’entreprise bayonnaise a depuis développé de nouveaux produits et des services avant les autres.
Avec le tutorat réciproque, dès leur intégration dans l’entreprise, les jeunes sont mis en situation d’apporter aux anciens leurs connaissances et leurs savoir-faire spécifiques. Ils ont appris à l’école le travail de nouveaux matériaux et utilisé les toutes dernières machines. Intégrés à un binôme junior-senior dès leur arrivée, ils ont des objectifs d’intégration et d’apprentissage précis. Ceci crée d’emblée une bonne dynamique car les seniors se sentent valorisés pour leur maîtrise du métier et les juniors pour leurs nouvelles connaissances.
La mise en place de trois communautés de pratiques a permis aux différentes fonctions de se conseiller mutuellement et de s’entraider. Ensemble, ils trouvent en temps réel, via leurs outils portables, des idées et des solutions pour surmonter leurs difficultés. Au début, certains « role models » ont été mis en scène par les chefs pour montrer de nouveaux champs de possibilités.
Il y a dix ans, les plus jeunes avaient reçu pour mission de faire profiter l’entreprise du Web 2.0. Ils avaient montré aux anciens comment l’utiliser pour trouver de nouveaux fournisseurs d’accessoires innovants et découvrir de nouvelles techniques de fabrication. Dans un deuxième temps, ils avaient mis en place un petit réseau social interne pour créer du lien, dont on se sert toujours pour résoudre des problèmes en temps réel.
En liant les actions de communication interne et externe, l’entreprise a su mobiliser tous ses talents au service de l’externe. Tous les salariés sont devenus vendeurs et y trouvent leur compte. Pour développer la transparence, compte tenu de rapports à l’information très différents d’une génération à l’autre, le management a dû faire preuve de pédagogie et de confiance. Il a pris des risques et de nouvelles règles, jusqu’alors implicites, ont du être explicitées.
Après une bonne année de reprise en 2014, pour remercier son équipe, le patron a invité ses cadres au pays du bois, au Canada. Ils y ont découvert beaucoup de choses sur ce noble matériau, mais surtout d’autres pratiques managériales et d’autres enjeux. Ils furent surpris de réaliser la difficulté qu’avaient les dirigeants canadiens à trouver de jeunes managers. Génération Y oblige, il fallait trouver des solutions pour créer de nouvelles vocations managériales. Cette prise de conscience leur a permis d’anticiper un phénomène arrivé depuis en France.
Dans un domaine où 80 % des connaissances s’apprennent « sur le tas », par la pratique quotidienne à côté du compagnon, l’entreprise a osé proposer des formations adaptées aux modes d’apprentissage naturels des plus jeunes. Développés au niveau de la profession et avec des fournisseurs d’avant-garde, des modules d’e-learning techniques ont permis d’acquérir plus rapidement de nouvelles compétences. Toutes les générations ont apprécié cette manière nouvelle d’acquérir des connaissances qui permet de mesurer la progression de son apprentissage, à son propre rythme. Cette nouvelle technologie éducative a favorisé la fameuse VAE, qui permet de voir son niveau professionnel reconnu par un diplôme. Dans cet univers où l’on a souvent quitté l’école tôt, cette possibilité a créé une motivation surprenante parmi les anciens opérateurs.
La montée en puissance des femmes dans cette entreprise a été remarquée par la profession. Les femmes ont contribué à changer les pratiques. Sensibles à l’intérêt commun, à la jonction des besoins de l’entreprise et des aspirations nouvelles des individus, des femmes devenues cadres ont su encourager l’expression des aspirations – parfois inavouées – de certains individus, ce qui a finalement servi à tous. Concernant la diversification vers les services, qui permet aujourd’hui à des salariés âgés de poursuivre une activité en troisième partie de carrière, les femmes ont été clairement motrices. C’était un champ à conquérir qui a permis à des ambitions féminines de se révéler.
Grâce à une écoute interne plus fine, dans un monde traditionnellement très masculin et physique, une plus grande attention a été portée à l’ergonomie. Elle a permis d’adapter les conditions de travail des seniors et de rendre leur travail supportable plus longtemps. Les solutions trouvées par les seniors pour répondre à leur problématique particulière profitent à toutes les générations.
Face aux départs massifs des baby-boomers, détenteurs d’expérience et de savoirs importants, la transmission des compétences a été l’un des projets stratégiques que le patron menait personnellement. Les seniors sont valorisés par l’attention portée à leur expérience et les plus jeunes sont motivés par l’acquisition par l’entreprise de nouvelles compétences nécessaires (nouveaux outillages).
Une transition vers la retraite bien gérée permet aujourd’hui à des anciens en forme de venir donner un coup de main en période de forte charge. Ils sont fiers quand on les appelle et répondent toujours présent. La responsable des ressources humaines a su garder le contact avec eux, après leur départ, et c’est un bonheur pour eux et pour leurs collègues de se retrouver pour servir ensemble. Les jeunes Z sont épatés par la motivation et la disponibilité de leurs aînés qui leur racontent, après le travail, autour de tapas, l’histoire de leur entreprise.
En les écoutant, Raymond jubile et se rappelle les débuts du Contrat Génération.Au milieu du scepticisme général, en 2013, il avait été le premier à signer un Contrat Génération dans les Pyrénées Atlantiques. Il l’avait d’abord fait pour toucher la prime, bien sûr, mais ceci l’avait encouragé à recruter. Il fallait bien augmenter le nombre de jeunes pour qu’ils puissent recevoir les compétences des anciens qui allaient bientôt partir. Et puis… dans un département qui avait récemment changé de couleur, cela ne faisait pas de mal de s’afficher pour le Président !
Avec le recul, Raymond ne regrette vraiment rien. Ce qui est devenu, depuis, une politique de management efficace a permis à son entreprise de tirer de nombreux bénéfices et de réduire ses coûts : les recrutements ont été facilités, le turnover des apprentis réduit. Des conflits se sont apaisés et il n’y a pas eu de « clashes » de générations. Les compétences disponibles dans l’entreprise sont mieux utilisées. Les savoirs et l’expertise de la menuiserie sont non seulement préservés mais enrichis. La motivation des X d’hier, dont beaucoup sont devenus seniors, est plus forte que jamais.L‘absentéisme est réduit et il y a moins d’accidents grâce aux investissements réalisés en ergonomie. Il n’y a plus de congés maladie de longue durée. Une plus grande efficacité de la communication permet une réactivité accrue de l’entreprise et une adaptation plus rapide à son environnement. Décidemment, au Bar Basque, on n’arrête plus Raymond ! Son entreprise est prête à être transmise.