TRIBUNE Chargé de la Mission Design par les ministres du Redressement productif et de la Culture, ancien directeur de l'École nationale supérieure de création industrielle, conseiller technique au CEA, Alain Cadix expose pour L'Usine Nouvelle sa vision de l'industrie. Cette semaine, il évoque l'importance du design pour les entreprises industrielles et des services, en tant que vecteur essentiel de pénétration sur les marchés mondiaux.
En juin 2013, les ministres du Redressement productif Arnaud Montebourg et de la Culture Aurélie Filippetti ont lancé la Mission Design avec pour but de concevoir et d’appliquer une politique de design au niveau national. Un mémoire leur a été rendu en octobre dernier et des actions sont conduites ou se préparent.
Alors qu’en cette période de crise sociale et économique, écologique aussi, à la profondeur de celles qui enfantent parfois des révoltes, sourd un grondement venant du peuple, voici que deux ministres font entendre la petite musique du design comme le chant léger d’un fifre sur fond d’un roulement de tambours en sourdine. À ceux-là qui l’entendent ainsi et s’étonnent de la dissonance perçue, il est important de dire que le design est un sujet très sérieux ; stratégique même.
LE DESIGN, FERMENT D’UNE APPROCHE NOUVELLE DE LA PENSÉE STRATÉGIQUE D’UNE ENTREPRISE
Le design c’est l’art de donner forme aux objets à dessein. Le dessein peut être économique, écologique, social, éducatif,… Il est centré sur l’usager, l’utilisateur de l’objet, à qui ce dernier doit apporter une expérience nouvelle, adéquate, positive. Au sens contemporain, l’objet est un système, un produit, une machine, un service, un espace, une graphie. Le design modèle l’offre d’une entreprise, d’un territoire, d’une institution publique. La forme, quant à elle, est la concrétisation d’un concept. Elle se veut pratique, esthétique, attrayante. Elle doit avoir une signification.
Le design c’est aussi le ferment d’une approche nouvelle de la pensée stratégique d’une entreprise ou d’une institution. Il contribue à lui donner un sens qui concilie des exigences humaines et sociales et des contraintes économiques, technologiques, etc. Le design, par son socialisme inné (à sa source sont les pensées de William Morris) et son capitalisme acquis (en particulier au cours de sa vie commune avec le marketing dans des entreprises), est en mesure, non sans difficulté à franchir ou contradiction à dépasser, de concilier écologie et rentabilité (avec l’ingénierie), technologie et plaisir, efficience et style, parfois humanisme et glamour.
Mais revenons à la forme qui est, au fond, le cœur du métier du designer : l’art de donner forme. Pour certains, pour le plus grand nombre, la forme est l’expression esthétique et fonctionnelle de l’objet, sa superficie, "son bord, sa limite", comme la définissait le mathématicien René Thom. C’est bien cela, mais ce n’est pas que cela. Ainsi que le disait Piet Mondrian à propos d’architecture, dans le design d’un objet "l’extérieur s’exprime selon la construction interne". L’externe est indissociable de l’interne. L’externe ne peut pas être imaginé après que l’interne ait été conçu. Le designer est donc un acteur de la construction interne de l’objet.
"LE DESIGN EST L’ÂME D’UN PRODUIT"
C’est, en substance, ce que déclarait Steve Jobs : "le design est l’âme d’un produit qui s’exprime du cœur jusqu’à l’enveloppe extérieure, couche par couche". En être convaincu conduit à modifier l’organisation de la conception des objets. Une modification a minima consiste à intégrer le designer dans l’équipe de conception dès l’amorce du projet ; une modification radicale va jusqu’à lui donner la maîtrise d’œuvre de l’objet (tel l’architecte pour un bâtiment) et à lui confier la responsabilité d’animer l’équipe de conception ; la fin justifiant le moyen.
Nous sommes alors très loin de la vision du design la plus répandue dans notre pays où l’usage généralisé du mot en adjectif (une table design) est le signe le plus marquant d’une profonde inculture, la source principale du malentendu évoqué plus haut.
C’est une des raisons de notre manque de compétitivité hors coûts. Trop d’entreprises, industrielles ou de services, ne font pas (encore) du design un vecteur essentiel de leur pénétration sur les marchés mondiaux.
Alain Cadix, chargé de la Mission Design auprès des ministères du Redressement productif et de la Culture.
@AlainCadix