La Coface tient ce mardi 21 janvier une conférence pour faire le point sur les risques pays et sectoriels dans le monde. L'idée est d’aider les acteurs du commerce international à prendre leurs décisions en matière d'exportation ou d'investissement. Yves Zlotowski, économiste en chef à la Coface répond aux questions de Challenges sur le sujet.
Quel scénario économique prévoyez-vous pour la France en 2014 ?
Pour la France, nous notons une stabilisation des risques dans un contexte de légère reprise, avec 0,6% de croissance prévue en 2014 (contre 0,1 % en 2013). A la Coface, en tant qu’assureur-crédit, nous évaluons, dans chaque pays, le risque moyen des entreprises à régler leurs dettes à leurs fournisseurs. Pour cela, nous analysons de près l’évolution économique, financière et politique du pays. En mars dernier, nous avions dégradé la France, car de plus en plus de grandes sociétés étaient en défaillances. Depuis mi-2013, nous notons un retour à la normale: les entreprises restent fragiles, mais ce sont surtout des PME, classiquement. En revanche, le nombre total de défaillances ne baisse pas: avec 62.785 entreprises sur un an, en novembre 2013, nous ne sommes pas loin du triste record de 2009 (63.200). Pour que la situation de la France s’améliore, c’est-à-dire pour que le nombre de défaillances diminue, la croissance annuelle devrait atteindre 1,6 %.
La nouvelle politique de l’offre du Président, avec les baisses de charge des entreprises, peut-elle améliorer vos prévisions ?
C’est une décision très importante, car tout le monde établit le même diagnostic: l’érosion de leurs marges rend les entreprises françaises très vulnérables. Mais nous attendons de voir comment le pacte de responsabilité va s’appliquer pour en mesurer les conséquences, d’autant qu’il ne sera totalement effectif qu’en 2017. Il y aura peut-être un effet psychologique immédiat sur le retour de la confiance et l’amélioration des marges des entreprises. En tout cas, c’est une annonce positive.
En Europe, voyez-vous la situation de certains pays s’améliorer ?
Oui, nous voyons la situation de l’Allemagne et de l’Autriche s’améliorer très nettement, avec une prévision de croissance de 1,7% pour ces deux pays. L’activité en Allemagne est soutenue la fois par un vrai retour de la consommation des ménages et par des exportations qui devraient s’améliorer grâce à la légère reprise de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Les défaillances d’entreprise ont diminué de 9 % sur un an, de septembre 2012 à septembre 2013. Quant à l’Autriche, c’est un pays très lié aux exportations vers l’Europe centrale, où la croissance redémarre. Enfin, nous reclassons d’un cran l’Irlande, pays qui affiche 1,7% de croissance en 2014 et qui profite du dynamisme des exportations vers les Etats-Unis et le Royaume-Uni, en croissance de plus de 2%.
Les pays d’Europe du Sud, dont les taux d’intérêts sur leur dette sont maintenant bas, sont-ils sortis d’affaire ?
Ces taux bas sont en effet de très bonnes nouvelles. Dans le sud de l’Europe, l’activité des entreprises ne se contracte plus. Les exportations sont mêmes très dynamiques en Espagne et au Portugal. Mais la reprise reste faible cette année: 0,4 % en Italie, 0,5 % en Espagne et au Portugal. La Grèce, elle, affiche même un chiffre négatif, avec -0,6 %. Et les entreprises comme les Etats sont encore très endettés. Les risques de ces pays se stabilisent, mais ne s’améliorent pas.
Quels sont les pays émergents qui connaîtront le plus de difficultés ?
Les Brics patinent. L’Inde, le Brésil et la Russie souffrent d’un ralentissement structurel de leur croissance. Ils ont en moyenne perdu 2,4 points de croissance entre 2005-2008 et 2014. Cela provient d’un ralentissement très fort de l’investissement pour trois raisons: ces pays manquent de main d’œuvre qualifiée, leurs infrastructures sont insuffisantes et ils souffrent d’un climat des affaires dégradé –corruption, mauvaise protection du droit de la propriété, etc. Parmi les pays émergents, cinq pays sont particulièrement fragiles car leur déficit courant est élevé, ce qui fragilise leur taux de change. Ce sont l’Inde, le Brésil, la Turquie, l’Indonésie et l’Afrique du Sud. En plus, ces cinq pays seront en période électorale cette année, ce qui est propice à des tensions. Déjà, la Turquie, en proie à des tensions politiques graves, a vu sa livre chuté.
Quels sont, à l’inverse, les pays émergents les plus prometteurs ?
En Afrique, la Coface note la dynamique positive du Nigéria, de la Côte d’Ivoire, du Rwanda et du Kenya. Mais le niveau de risque des pays africains reste malgré tout beaucoup plus élevé que celui des autres pays émergents, en particulier à cause du manque de transparence des comptes des entreprises. Il y a aussi une nouvelle génération – après les Brics – d’émergents qui se portent très bien, avec des taux de croissance stables et allant de 4 à 6 %. Ce sont l’Indonésie, les Philippines, la Colombie et le Pérou.
Juste avant la 44e édition du Forum économique mondial de Davos, qui a lieu du 22 au 25 janvier, l’ONG Oxfam dénonce dans un rapport les inégalités croissantes dans le monde: près de la moitié des richesses est détenue par seulement 1 % de la population. Cela représente-t-il, selon vous, un risque majeur pour la stabilité sociale et politique ?
Oui c’est un sujet absolument majeur. Dans une période où la croissancereprend doucement, les plus pauvres, qui ont été durement touchés par la crise, attendent énormément: des emplois, des hausses de salaires, etc. Mais les effets de la reprise ne se font pas sentir tout de suite. Du coup, les tensions sociales peuvent être fortes.
Dans quels pays, cela risque-t-il d’arriver ?
Il faut faire attention au risque de tensions sociales dans tous les pays du Sud de l’Europe. Cela peut aussi être le cas en Chine, où les inégalités entre population rurale et urbaine sont fortes. Et enfin dans toute l’Asie émergente: Pakistan, Inde, Afrique du Sud, Brésil, Vietnam et dans deux pays où il y a déjà eu des manifestations d’ouvriers travaillant dans le secteur du textile : le Cambodge et le Bengladesh. Les inégalités entre riches et pauvres seront un problème majeur en 2014.