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Il faut croire en l'avenir

26/12/13




http://www.slate.fr/

Il faut croire en l'avenir

Il est temps de tenir à nos citoyens le «grand discours» mobilisateur dont ils ont besoin. En commençant par leur dire que la mondialisation vit un tournant et que cette évolution requalifie les valeurs de l'Europe.

Des poussins teints. REUTERS/Cheryl Ravelo

- Des poussins teints. REUTERS/Cheryl Ravelo -

L'intelligentsia économique dit, ces temps-ci, que les Français sont beaucoup plus près d'accepter les réformes que ne le croit la classe politique. Ils ont compris que le monde bougeait et qu'il fallait «s'adapter». Mais encore faudrait-il, pour engager le mouvement, que les responsables tiennent un grand discours pédagogique revigorant sur l'état du monde, sur l'avenir, celui de la France, de l'Europe, de l'Occident au XXIe siècle.

Je ne sais si les Français sont vraiment prêts aux réformes. A entendre les cris dès que le gouvernement bouge un cil, on peut penser, à l'inverse, qu'ils ont une préférence pour le déclin, pour ne rien changer dans leur mode de vie, quitte à ce que les résultats nationaux empirent. Ils n'espèrent plus que de pouvoir ralentir un peu la chute, un «après-moi-le-déluge» tiré de la même fabrique que la dette de 1.900 milliards d'euros laissée sur le dos des suivants.

 
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Mais le besoin d'une pédagogie du monde, d'un «grand discours», est, lui, certain. Un récent sondage de Pew Research Center nous apprenait que seuls 9% de nos concitoyens pensent que leurs enfants vivront mieux qu'eux. Ces chiffres, comme beaucoup d'autres de la même eau glacée, nous créditent du record mondial du pessimisme. Par comparaison, 82% des Chinois, 65% des Nigérians, 59% des Indiens pensent que la situation de leurs enfants sera meilleure. Mais c'est ainsi, le pays est saisi d'effroi. Et quand l'avenir est un enfer, personne n'a évidemment envie de s'y jeter. Dit plus drôlement, comme un vieux conservateur britannique: «Mais pourquoi donc voulez-vous changer? Vous ne trouvez pas que ça va déjà assez mal comme ça?»

Le «grand discours», si on s'y essaie, doit avoir pour grand but de redonner la foi en l'avenir. Il doit convaincre 91% des Français que «si!», l'avenir de leurs enfants sera, en tout cas peut être, meilleur que le leur. On pourrait le montrer à trois niveaux.

Premier niveau, l'emploi. Le taux de chômage est persistant en France depuis quarante ans, certaines familles vont connaître leur troisième génération successive sans emploi. C'est une chape de plomb. Mais est-ce une fatalité? Non. L'Allemagne comme l'Autriche sont quasiment au plein emploi. Il s'agit de pays de la zone euro, comme nous! Cela prouve qu'il y a de bonnes et de mauvaises politiques de croissance et d'emploi et que, visiblement, la nôtre compte parmi les plus inefficaces. Il y a des solutions. Il faut ouvrir les yeux sur l'étranger et s'en inspirer pour comprendre que notre chômage n'est pas dû à un «trop de réformes libérales, bruxelloises, désastreuses», mais à un «pas assez de réformes» pragmatiques, individualisées, évaluées.

La croissance mondiale est aujourd'hui tirée par les pays émergents. Si l'on veut créer des emplois, il faut s'engager dans la mondialisation et non pas la redouter. Elle cause des blessures, je vais y venir, mais fermer les portes, se blottir dans une Europe démographiquement réduite et vieillissante et, plus encore, sur la France seule, n'est proposer comme avenir qu'un mouroir. Les hommes et femmes politiques protectionnistes, qu'on entend hélas de plus en plus, racontent des sornettes. La France n'a de futur qu'ouverte.

Mais à quel prix? C'est le deuxième niveau: le modèle social, le niveau de vie. Sommes-nous condamnés à ressembler aux Etats-Unis, où le salaire médian baisse? L'Allemagne n'est au plein emploi que parce qu'elle a réduit son modèle social. Toujours plus de travail pour moins d'euros: jusqu'où ira la dégringolade?

La réponse est ici plus difficile. Le modèle social que les Européens partagent n'est pas devenu trop cher dans l'absolu. Mais il l'est, s'il pénalise la croissance. C'était le cas outre-Rhin à cause du coût de la réunification, c'est le cas clairement en France aujourd'hui. Il faut, par exemple, retarder l'âge de départ en retraite pour ne pas surcharger le travail de taxes. Mais, fondamentalement, ce n'est pas un abandon, c'est une révision.

C'est là l'essentiel du message: le modèle social à l'européenne a été un avantage comparatif après-guerre, puis il l'a été moins dans les années d'ouverture de la globalisation, mais il le redevient dans la nouvelle phase qui s'ouvre de cette globalisation. Les salaires chinois ont monté, la bataille n'est plus dans les coûts mais dans les technologies, l'innovation, le savoir, le design, le marketing. Et, pour gagner cette bataille-là, il faut mobiliser tout le monde, dans l'Etat et dans les entreprises, et redonner sa place à l'esprit coopératif.

Tout le monde peut-il s'adapter et participer? C'est là le deuxième message essentiel: une partie des gens, peut-être un quart, sont «largués» dans la modernité. Ils ne contrôlent rien, ni les technologies, ni leur destin, dans une société individualiste, ni leurs propres enfants. Il faut donc s'en occuper spécialement, leur donner des capacités, des «capabilités», selon le bon terme d'Amartya Sen. Messieurs et mesdames les professeurs, il faudrait commencer par leur apprendre à lire et à écrire! C'est un devoir de n'abandonner personne, et c'est à la portée de tous les pays européens.

Dernier niveau: la «civilisation». L'avenir peut paraître sombre, là aussi. L'heure de la vieille Europe serait passée, vient le temps de la Chine, de l'Inde, des puissances démographiques. Il y a aussi ces régimes autocratiques et islamiques. Et ces civilisations ont d'autres valeurs que les nôtres –que l'humanisme, pour faire bref [1]. C'est le dernier point du «grand discours», le plus discutable sans doute, mais le plus fort: les autres civilisations représentent des reculs, l'universalisme  reste le seul moyen d'aller de l'avant pour maîtriser le monde neuf. Joyeux Noël!

Eric Le Boucher

Article également paru dans Les Echos


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