La génération Google (entre celle de Yahoo et de Twitter) existe bel et bien dans l'entreprise... Google. Elle induit des transformations en termes de management, d'accès à l'information et de communication.
Chez Google Europe, la moyenne d’âge est assez jeune (la trentaine), mais ce qui me paraît le plus intéressant est le fait que la population soit homogène. La moyenne d’âge dépend de l’activité des sites. Par exemple, l’un de nos centres d’activités de Dublin rassemble une pépinière de jeunes diplômés. On se croirait à l’université ! Dans les bureaux des autres pays européens, on trouve plutôt des trentenaires. Il y a des quarantenaires, mais on les cherche ! En fait, nous avons tout simplement l’âge de notre industrie. Aux Etats-Unis, où l’antériorité sur Internet est plus grande, les collaborateurs sont un peu plus âgés. En Europe, les collaborateurs sont systématiquement un peu plus jeunes.
Google est né en 1998, dans la foulée des grands médias online ; nous sommes aujourd’hui à l’ère des réseaux sociaux, qui est portée par une nouvelle génération d’internautes plus jeunes. La génération Google est donc un peu plus jeune que la génération Yahoo et AOL, et un peu moins que la génération Facebook ou Twitter.
En termes d’usage, les réseaux sociaux rassemblent les deux extrémités de la pyramide d’âges (les jeunes et les seniors, qui sont très actifs sur les réseaux – cela leur permet de rester en lien avec leur famille, même à distance), mais dès que l’on parle de nouveaux usages, les premiers à les adopter sont les plus jeunes, beaucoup plus agiles et fluides dans l’utilisation des nouveaux outils. Ce qui compte, c’est la rapidité d’adoption des usages. C’est pour cela que, même si nos services sont destinés à tous les âges, il est clair que les plus prompts à les adopter se trouvent en majorité parmi les plus jeunes.
Dans notre métier, celui de l’usage sur Internet, le phénomène de la transformation par le numérique est par définition générationnel. Si nous en étions restés là où nous en étions il y a dix ans, nous serions déjà « morts » ! La question de la génération constitue pour nous un véritable décrypteur de la transformation numérique.
Les générations sont très liées aux nouvelles technologies et à leurs usages. Il y a quatre ou cinq ans, l’appropriation et l’utilisation d’un nouvel outil étaient très homogènes. Aujourd’hui, cela commence à changer : certaines personnes commencent à être débordées en termes de technicité.
Il n’est pas facile de qualifier la nature de cette révolution.La génération des réseaux sociaux constitue-t-elle une rupture majeure pour quelques années encore à venir ? Ou bien, ces changements à la fois techniques et culturels sont-ils amenés à continuer d’évoluer de plus en plus rapidement, c’est-à-dire que nous entrerions dans une ère où l’obsolescence serait sans cesse accélérée ? Ce qui est sûr, c’est que ces changements induisent une transformation majeure dans deux dimensions essentielles de la vie en entreprise : l’accès à l’information et la communication. C’est en cela qu’ils constituent un défi très complexe pour les acteurs de l’entreprise.
Chez nous, l’intergénérationnel fait naturellement partie de la culture et se met en place de manière très spontanée. La position hiérarchique de la personne et de son âge ne comptent pas en tant que tels. Nous travaillons de façon vraiment horizontale en recherchant la complémentarité. Les juniors apprécient un management de qualité, le retour sur leur travail, de la reconnaissance, l’accompagnement de leur développement et de leur parcours professionnels ; de l’autre côté, les managers ont besoin d’expertise, qu’il devient impossible d’actualiser en permanence au niveau de granularité souhaitée : ils doivent s’appuyer sur d’autres.
Un facteur qui me paraît essentiel pour comprendre la transformation de l’entreprise numérique à dix ans est la décorrélation du pouvoir symbolique et du savoir.L’autorité ne peut pas venir du seul savoir parce que l’autorité n’est plus la seule détentrice du savoir et elle ne peut pas contrôler sa diffusion. Les rôles sont en train de changer.
La légitimité du manager ne peut plus venir de sa seule expertise technique, elle n’est pas toujours nécessaire et, lorsqu’elle est présente, elle est insuffisante de toute façon. Nous travaillons dans des univers trop complexes et nos outils mettent à portée de main tout le savoir du monde via les moteurs de recherche, Wikipedia, ou tout simplement les conseils des réseaux sociaux… L’autorité du manager vient de sa capacité à écouter, à mettre en cohérence – simplifier la complexité pour la rendre intelligible et l’orienter – et à rassembler autour de lui.
Son rôle est de sélectionner ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas, de réduire les contradictions, de définir une direction et de prendre des risques en décidant, puis en accompagnant la mise en œuvre pour garder le cap. Cela implique aussi de la clarté et de la cohérence de sa part.
Le problème que l’on constate dans de nombreuses entreprises est qu’elles raisonnent dans un paradigme dépassé, « la maîtrise de la communication ». Cette époque est tout simplement révolue. Les frontières entre l’entreprise et le monde de dehors sont totalement poreuses. Les collaborateurs ne se privent pas de donner leur opinion sur leurs employeurs et les futurs candidats n’hésitent pas à solliciter leurs réseaux pour savoir ce qui se passe ailleurs.
De la même manière, les collaborateurs ont envie d’exprimer et de partager leur opinion, de poser des questions, de chercher des informations sans avoir à passer par un système de filtrage compliqué. Rendre cette expression possible est un véritable enjeu de communication interne ainsi qu’un défi posé aux directions générales, aux organisations représentatives, aux directions de la communication et aux directions des ressources humaines.
Google a ignoré le sujet en posant d’emblée qu’à partir du moment où l’entreprise recrutait des collaborateurs de très grande qualité, il n’y avait aucune raison de ne pas les écouter. L’entreprise s’est ainsi construite sur une logique de forum ouvert où les seuls outils de régulation sont le plus souvent réclamés par les utilisateurs eux-mêmes de façon à éviter le chaos d’informations. Mais les listes ne sont pas modérées a priori… et finalement, le meilleur outil de modération s’avère être la communauté elle-même.
Ces flux vivants ont une autre fonction essentielle : ils entretiennent et font vivre la communauté des collaborateurs en renforçant le lien social au travers d’un échange productif, de la création de sous-réseaux d’affinités, et en rappelant à tout le monde qu’une entreprise est un corps social vivant animé au niveau de chacune de ses parties dans un tout bien supérieur à sa somme.
Google est la somme de ses collaborateurs et celle de leurs communautés d’intérêts qui vivent au travers d’échanges de savoir, de compétences, de réseaux étendus. Ils communiquent en direct indépendamment de toute relation hiérarchique, géographique, générationnelle ou fonctionnelle. Ces réseaux n’ont besoin que de peu de choses pour exister : la spontanéité et la confiance qui génèrent la responsabilité. En faisant le pari de l’intelligence collective, l’entreprise a mis en place une culture d’entreprise qui est aujourd’hui l’un de ses avantages compétitifs les plus originaux.