Les valeurs de la jeune génération coïncident avec celles de l’Internet. Elles souhaitent un management différent : plus d'empowerment et de confiance. Sans réponse satisfaisant à ses aspirations, elle fait preuve d'opportunisme.
L’appréhension de l’arrivée à l’âge « adulte » de la jeune génération, cristallisée autour de son entrée sur le marché du travail, tourne parfois à l’opposition stérile entre ancien monde et nouveau monde. Force est de constater que l’on projette souvent sur la jeunesse les valeurs émergentes de la société ; le fait qu’elle sera le monde de demain amène les entreprises qui cherchent avant tout à survivre à travers les âges à s’y intéresser de près. On souhaite ainsi comprendre ces jeunes tout en évitant cependant qu’ils ne prennent trop de place.
La jeune génération actuelle en France, dont je fais partie, fait sa grande entrée dans le monde du travail tiraillée entre ses propres difficultés à pouvoir y accéder et le pessimisme teinté de nostalgie véhiculé par ses aînés. Cet état d’esprit, en partie lié à la crise, peut être poussé à l’extrême et engendrer des réactions comme la tribune « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! » publiée dans Libération en septembre 2012, incitant les jeunes à sortir du pays pour pouvoir découvrir le monde et profiter de ses nouveaux centres dynamiques. Je souhaite dans un premier temps expliquer le contexte dans lequel notre génération perçoit le monde du travail actuel et vers quoi elle tend pour réconcilier ses aspirations avec le monde de l’entreprise.
Comme les générations passées, l’actuelle jeunesse découvre avec perplexité que, si la méritocratie et l’investissement sont proclamés comme valeurs fortes dans la société et les entreprises, leur traduction par la
Cette situation est d’autant plus délicate qu’elle se trouve être en contradiction avec ce que notre génération a reçu comme enseignement à l’université ou au cours de ses études sur les nouvelles façons de travailler en entreprise au XXIe siècle, à grand renfort de collaboration, d’outils numériques favorisant l’échange d’information, l’innovation et l’interdisciplinarité.
Pour en finir avec ce constat, nous remarquons que notre génération a été encouragée à multiplier les diplômes et à faire autant de stages que possible pour pouvoir être « prête » à entrer en entreprise. Cependant, on explique aujourd’hui à ceux qui ont « eu la chance » de trouver un emploi que c’est déjà beaucoup : pour leurs revendications de reconnaissance et de nouveaux modes de travail, ils devront repasser.
Ainsi les nouveaux modèles d’organisation du travail centrée autour du partage des connaissances et du croisement des profils variés sont-ils sérieusement battus en brèche dans un grand nombre d’entreprises qui semblent percevoir ces initiatives comme des « modes » non fondées et parce que, dans un contexte incertain, mieux vaut ne pas se risquer à de nouvelles façons de faire – après tout, pourquoi changer ?
La confiance n’exclut certes pas le contrôle, mais assister encore aujourd’hui à des discussions dans diverses instances pour savoir si l’ordinateur, l’email et les réseaux sociaux sont des outils de productivité ou, au contraire, d’oisiveté généralisée révèle quelque part un déni de la nature sociale des collaborateurs.Personne aujourd’hui ne penserait à enlever la machine à café, source de non-productivité, si ce n’est que ces échanges sont ce qui constitue une part des liens interpersonnels au sein d’une équipe et instaurent une collégialité qu’aucun outil ne peut fournir. Comme nous le verrons par la suite, cette recherche de sens, ce désir de destinée commune, propres aux grands collectifs, manquent cruellement à notre génération dans le milieu du travail.
En l’absence d’évolution rapide au sein des entreprises traditionnelles, les jeunes se tournent vers la recherche d’un nouveau paradigme pour construire le monde de demain dans lequel ils souhaitent s’épanouir. Leurs aspirations s’articulent autour de l’émergence de nouveaux eldorados allant de Sao Paulo à Shanghai, des aventures entrepreneuriales et de la révolution numérique incarnées par les « barbares du digital » de la Silicon Valley. Même si le nombre de jeunes choisissant une de ces trois alternatives ne représente qu’un faible pourcentage de notre génération, elles établissent néanmoins dans l’imaginaire collectif le point de comparaison et le standard à atteindre en termes de vision du monde du travail.
Ainsi, la dynamique des pays émergents amène à repenser la façon dont notre système de société évolue, y compris dans sa capacité à repousser ses limites actuelles et à résoudre ses problèmes inhérents. L’aventure entrepreneuriale permet de pouvoir assumer la prise de risque et l’autonomie de projets qui peuvent se transformer en belle réussite personnelle et collective. Quant aux « barbares du digital », thème qui nous tient à cœur à l’Atelier, ils permettent un décloisonnement du monde et une recomposition des chaînes de valeurs dans de nombreuses industries, devenus un des symboles du monde en mouvement. Parmi ces acteurs ayant valeur de modèles,Google, né en 1998, et Facebook, né en 2004, dont l’âge médian des effectifs est respectivement de 31 ans et 26 ans (source : Payscale), incarnent chacun ces nouvelles formes d’organisations qui sont décriées par certains et louées par d’autres : Google a été numéro 1 du classement “100 Best Companies to Work For” du magazine Fortune deux années de suite (2012 et 2013)4 et Facebook vient d’être nommé numéro 1 par un autre classement, “Best Places to Work” de Glassdoor (2013).
Alors que les entreprises de toutes tailles se disent rechercher les talents de demain, quelles sont celles qui oseraient proclamer, comme Facebook, des slogans aussi aguicheurs que “We’re making the world more open and connected. Want to help ?” sur son site internet de recrutement ?.
Non contente d’émettre un message collectif capable de résonner avec les aspirations de chacun, l’organisation comme la culture du travail de cette jeune entreprise de plus de 4 600 employés (au 31 décembre 2012) impressionnent par le mélange d’efficacité et de satisfaction exprimé par les employés qui y travaillent. C’est pourtant un univers très rigoureux avec un suivi constant des actions menées, le couperet des arbitrages, où les rythmes de travail sont en permanence soutenus.
Mon propos n’est pas ici de dire que toutes les entreprises devraient être des Facebook ou des Google en puissance, notamment parce que la pérennité de leurs activités et l’éthique de leur modèle d’affaire peuvent être sujet à caution, mais que leur modèle d’organisation centré autour de l’empowerment des employés est quelque chose qui renvoie à une profonde attente de la jeune génération actuelle. Cette confiance placée dans les individus pour qu’ils puissent se saisir collectivement des projets de l’entreprise et faire leurs preuves avec vérification a posteriori de leurs apports est vu comme libérateur car elle permet à chacun de saisir sa chance.
Si l’entreprise arrive à fournir cet espace d’expression et de réalisation à ses collaborateurs, elle peut parvenir à ses fins et faire fructifier sa ressource la plus précieuse tout en satisfaisant l’ensemble de ses parties prenantes. Cet empowerment vital dont nous parlions précédemment est la seule façon de construire ensemble les conditions du travail au sein des entreprises et de redonner leur noblesse aux dirigeants et aux managers qui s’assurent que toutes les conditions sont bien réunies pour la réussite des projets tout en développant une vision claire. Il faut ainsi passer d’une ère du contrôle et de la restriction à une ère de la confiance et de l’empowerment. En l’absence de ce nouveau contrat social, la jeune génération, ne trouvant aucune réponse satisfaisante à ces aspirations, fera preuve d’un opportunisme sans finet tentera de maximiser son intérêt individuel aux dépends de tout projet auquel elle adhèrera.