Thierry Baril, DRH à la fois d'EADS et d'Airbus depuis juin 2012, a été nommé lundi 3 juin, DRH de l'année par Hudson, Le Figaro Economie et Cadremploi. Une distinction qui tombe à pic à l'aube du Salon International de l'Aéronautique et de l'Espace du Bourget qui ouvre ses portes le 17 juin. Dans la fonction "ressources humaines" depuis vingt-cinq ans au travers de différentes entreprises (Boccard, Alstom, General Electric, Alcatel et EADS et Airbus), Thierry Baril a évolué au sein d'EADS. Il a été le DRH d'Eurocopter de 2003 à 2007 avant d'intégrer Airbus. Depuis 2012, il est le DRH d'Airbus mais également de l'ensemble d'EADS suite aux changements de gouvernance qu'a connus le groupe aéronautique. Airbus représente néanmoins la plus grosse partie des activités avec environ deux tiers du chiffre d'affaires d'EADS et 50% de ses effectifs. Participant à une table ronde, vendredi 7 juin, Thierry Baril est revenu sur son action au sein du groupe EADS et sur ce qu'il pensait de la fonction de DRH.
Vous venez d'être élu DRH de l'année, qu'est-ce qu'un bon DRH selon ?
Il faut avoir une vocation humaine et l'envie de s'occuper des autres. Mais également s'intéresser à l'entreprise, comprendre son business et vouloir l'influencer. Car une entreprise performante est une entreprise qui a les bonnes technologies, les bons produits, qui inspire confiance, mais aussi qui a des ressources humaines extraordinaires. Le job du DRH est donc d'embaucher et de faire évoluer les meilleurs hommes et les meilleures femmes au sein de l'entreprise.
Quelle a été votre action depuis votre prise de fonction au sein d'Airbus ?
Depuis 2007, nous avons contribué à mettre en œuvre de nombreuses transformations dans l'entreprise, notamment après les déboires de l'A380 et les problèmes de gouvernance rencontrés par le groupe EADS. A l'époque, l'image du groupe avait été très écornée. Mais en même temps, cela nous a permis de découvrir un certain nombre de dysfonctionnements. Nous nous sommes donc attelés à changer les choses et à remettre l'entreprise en ordre de marche. Chez Airbus dans un premier temps, puis nous avons opéré d'autres transformations chez Eurocopter, Cassidian et Astrium.
Concrètement en quoi consistaient ces changements ?
En premier lieu nous avons mis à plat l'organisation pour que l'entreprise soit complètement intégrée, ce qui n'était pas le cas avant. Pour preuve, les déboires de l'A380 étaient liés au fait qu'il existait deux systèmes informatiques distincts pour calculer l'intégration des fameux câbles électriques. Or c'est cette dualité qui a notamment engendré des problèmes de connexion de câbles au moment de l'assemblage final de l'avion. Cet exemple, parmi d'autres, nous a fait prendre conscience qu'il était nécessaire que les équipes travaillent davantage ensemble et qu'elles soient intégrées dans une organisation unique, avec des responsabilités partagées et transnationales. Car quand je suis arrivée chez Airbus en octobre 2007, les DRH des pays où est présent Airbus ne rapportaient pas au DRH d'Airbus! Tout cela a fait l'objet de changements. Nous avons repris les manettes et réorganisé l'ensemble de nos process que nous avons simplifiés.
Vous avez également encouragé un management de proximité...
Effectivement, nous avons beaucoup investi sur les managers d'entreprise pour les amener vers leurs responsabilités… managériales. Car s'ils étaient extrêmement compétents techniquement, ils n'étaient pas forcément au bon niveau pour pouvoir être charges d'âmes. Les managers ont ainsi été repositionnés dans leur rôle. Pour cela, il fallait s'assurer que chacun s'approprie les objectifs et ait bien compris les problèmes pour pouvoir les régler. C'est pourquoi nous avons décidé de mesurer le niveau d'engagement de nos salariés. Et ces enquêtes -qui sont menées tous les vingt mois environ- nous permettent de voir comment nos plans d'action portent leurs fruits.
Cela passe par la formation des managers ?
Oui, en partie. La formation représente 3.250.000 heures par an (soit un investissement de 200 millions d'euros pour le groupe). 20% concerne la formation des managers. Mais d'autres approches nous permettent de renforcer la capacité managériale de l'entreprise. Ainsi, les teamboosters nous servent à voir le niveau de contribution de chaque équipe aux objectifs et à générer un esprit d'équipe. Et quand beaucoup d'entreprises mesurent la satisfaction, nous avons préféré aller plus loin en mesurant l'engagement. C'est-à-dire voir comment les salariés viennent chaque matin appréhender leurs challenges, et comment, ensemble, on est capable de se surpasser. En contrepartie, nous investissons énormément sur l'entreprise, le poste de travail, l'environnement de travail et les circuits de décisions de l'entreprise.
Comment évaluez-vous les managers de proximité ?
Nous mesurons tous les deux ans les capacités de nos managers grâce à un outil qui s'appelle le MRA (Multi record assessment). Il s'agit d'une évaluation à 360°C mise en œuvre par les RH et à laquelle participent le responsable, les collaborateurs et les collègues. Mieux, nous croisons les résultats de cette évaluation avec ceux de l'enquête d'engagement. On regarde alors quelle est la corrélation entre la santé de l'équipe et la capacité du manager à la gérer. Ce dernier est ainsi évalué dans son action. Encore une fois, cela est destiné à faire prendre conscience au manager de son rôle vis-à-vis de ses équipes et de ne pas seulement évaluer ses compétences techniques. L'objectif est d'avoir des managers qui donnent de la clarté sur leur action et qui sont capables de prendre des décisions, même impopulaires, et surtout de les expliquer.
EADS ne fait pas partie des bons élèves sur la question des femmes en entreprise. Comment abordez-vous cette problématique ?
Aujourd'hui, EADS compte environ 15% de femmes dans ses effectifs. Chaque année nous en recrutons a minima 25% sur l'ensemble de nos recrutements. Cela est loin de la parité certes, mais notre métier est historiquement très masculin contrairement à la banque, l'assurance ou à la cosmétique par exemple. De plus, il faut rappeler que les écoles d'ingénieurs ne comptent que 18 à 19% de femmes sur leurs bancs. Donc en recrutant 25%, nous sommes déjà au-delà de ce que les écoles peuvent nous proposer. Mais ce n'est pas suffisant, c'est pourquoi nous disposons de nos propres structures de formation pour accueillir et former des jeunes femmes. Parallèlement, nous multiplions les campagnes de communication pour informer les jeunes étudiantes que nos métiers sont accessibles aux femmes et qu'elles peuvent réaliser de vraies carrières dans ces secteurs.
Quant aux plus hautes fonctions, seule Anne Lauvergeon fait partie du conseil d'administration (et aucune au Comité exécutif du groupe EADS). Pour autant, on voit déjà l'évolution dans les strates de responsabilités: il y a beaucoup de plus de femmes qu'il y a cinq ans chez les managers, senior managers et executives managers. Mais on ne souhaite pas parachuter des femmes parce que ce sont femmes mais parce qu'elles sont compétentes. ET pour cela, il faut les préparer.