Les chiffres de l’économie numérique publiés dans le Digiworld Yearbook 2013 de l’Idate, qui pointent la stagnation du marché sur le Vieux Continent, relancent le débat : N’y a-t-il pas trop d’opérateurs en Europe ? Faut-il créer un marché unique du numérique européen ?

Les chiffres du Digiworld Yearbook 2013 publié par l’Idate, un think tank du numérique, sont sans appel. Le numérique pèse 3150 milliards d’euros, soit 6 % du PIB mondial. Mais la croissance ralentit (3,2 % en 2012 contre 4 % en 2011 et 4,7 % en 2010). "Au total c’est plus d’un point de PIB qui a été perdu en l’espace d’une décennie",écrit Didier Pouillot de l’Idate. Surtout, selon lui, "les marchés se déforment dans l’espace : les régions à la pointe hier deviennent vulnérables et les marchés émergents, qui non jamais si bien porté leur nom, profitent de l’explosion de la demande à l’intérieur de leurs frontières pour porter haut leur appareil industriel et partir à l’assaut du reste du monde."

Une stratégie industrielle qui ne fonctionne plus en Europe. Car si en valeur les marchés du numérique ont progressé de 45 % en dix ans, l’Europe enregistre une croissance nulle (0,1 % en 2012) alors que le PIB de la zone progresse de 3,1 %. Le marché américain des TIC, affiche une croissance de 2,5 % (+3.8 % de PIB) pendant que l’Inde ou la Chine tirent le marché, avec +8 % même si c’est moins bien qu’en 2011 de 2 points pour le premier, de 5 points pour le second. Quoi qu’il en soit, avec la zone Afrique /Moyen-Orient ce sont encore des marchés d’équipements. "Les émergents ne pèsent qu’un tiers du marché, mais représentent les 2/3 de la croissance", explique Didier Pouillot.

TROP D’OPÉRATEURS TÉLÉCOM ?

En Europe, et notamment en France, la stagnation serait due à la récession durable du côté des opérateurs télécoms. "Il y a peut-être trop d’acteurs en Europe ", avance Fleur Pellerin, venue défendre sa feuille de route numérique devant les membres de l’Idate, lors de la présentation du Digiworld Yearbook, le 28 mai dernier. La ministre française soutient d’ailleurs le volet 2 de l’agenda numérique européen porté par Neelie Kroes, la Commissaire européenne au numérique, qui est favorable à un marché unique européen pour le spectre d’ondes. Mais qui crie au charron dès que des opérateurs font mine de discuter entre eux ! L’intérêt du consommateur européen, n’est pas celui des acteurs. Pour autant, Fleur Pellerin, le sait bien, avant même de penser à une union européenne des télécoms, il faut plancher sur les questions de fiscalité du numérique. Impossible à faire au niveau national.

MANQUE DE CULTURE NUMÉRIQUE DES DIRIGEANTS 

De toute façon, les dirigeants européens semblent avoir une conscience numérique plutôt réduite. Voire inexistante. "C’est vrai que, en Europe, on n’a pas d’Obama, qui parle de numérique dans un discours sur deux, sauf peut-être David Cameron, qui maîtrise bien le sujet", reconnaît Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique à l’occasion de la conférence Smart Indsutry Summit, organisé par l’Usine Nouvelle le 29 mai. "Dans un discours, David Cameron a même déclaré vouloir transformer le pays en royaume informationnel, et reconnu qu’ils étaient allés un cran trop loin en matière de surveillance. Et il a convoqué tous ses DSI pour remettre de l’ordre dans le système d’information des services Publics", raconte le président du CNN. Une initiative assez isolée en Europe. Car hormis quelques pays du nord de l’Europe, les 27 ne brillent pas par leur maturité numérique.

RECONSTRUIRE UNE INDUSTRIE DE L’OBJET NUMÉRIQUE

Comment dans ces conditions développer une Europe du numérique ? La tentative de reconquérir une industrie électronique, en fabricant à nouveau des processeurs en Europe, entre Crolles et Dresde, est un début. C’est peut-être le moyen de reconquérir des compétences pour recréer une industrie de l’électronique grand public en Europe. Avoir une stratégie de service cloud unifiée, serait aussi une force, plutôt que chaque pays, en commençant par la France, ne pousse ses champions. En revanche, le temps de l’installer, l’Europe est trop divisée pour assumer une politique protectionniste, comme les Américains arrivent à l’imposer, vis-à-vis du chinois Huawei, notamment. Le débat est en tous cas ouvert.

Aurélie Barbaux