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Le numérique est victime du "diktat concurrentiel européen", selon Axelle Le

12/6/14

 
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Usine Digitale


 

Le numérique est victime du "diktat concurrentiel européen", selon Axelle Lemaire

Le numérique est victime du "diktat concurrentiel européen", selon Axelle Lemaire © Luc Pérénom

Dans un entretien exclusif accordé à L'Usine Digitale, la secrétaire d’État chargée du Numérique Axelle Lemaire appelle à une Europe du numérique. Elle compte sur la prochaine Commission européenne pour faire de la gouvernance de l'internet une priorité. Afin que les géants américains ne dictent plus leurs lois et que les 505 millions d'Européens ne deviennent pas les "usagers du reste du monde". Si ces sujets sensibles ne sont pas à l'ordre du jour des négociations de l’accord de libre-échange transatlantique, ils pourraient venir les perturber selon la secrétaire d'État.

L'Usine Digitale - Aucune politique numérique européenne n'est définie. Les lignes vont-elles bouger ?

Axelle Lemaire - Je suis étonnée de constater à quel point il n’y a pas de stratégie numérique globale, définie à Bruxelles et partagée avec les 28 Etats membres, qui dise où va l’Europe dans ce domaine. L'urgence porte d’abord sur le règlement communautaire sur les données personnelles. Celui-ci est crucial pour que l’Europe devienne le continent de la protection et donc de l’attractivité.

Je crois vraiment que l’Union européenne peut être la zone du monde qui produise les intermédiaires de confiance. C’est vrai pour la cybersécurité. C’est vrai pour le cloud. Et cela se fera grâce à un règlement qui protège les données personnelles, tout en restant souple pour permettre interopérabilité, transférabilité, etc. Ce règlement ne sera pas adopté avant la fin du mandat de l’actuel Commission. Mais il faut que ce soit une priorité de la prochaine.

Est-ce le sujet principal de l’Europe du numérique ?

Le droit de la concurrence européen dans le domaine du numérique en est un autre. Tel qu’il est appliqué actuellement par la Commission, il favorise les grandes plates-formes américaines au détriment des acteurs français et européens. Il faut s’interroger soit sur une révision des règles, soit sur une application aveugle signifiant "vive la concurrence et tant pis si nos opérateurs télécoms sont pénalisés car ils n’ont pas une approche verticale des services". Cette problématique, Angela Merkel commence elle aussi à s'en saisir en affirmant que nous sommes allés trop loin dans l’application aveugle du diktat concurrentiel en Europe. C’est le signe que les choses bougent.

L’Europe n’a pas non plus de "stratégie industrielle numérique", car on y considère que le numérique n’est pas une industrie. Or, pour moi, un data center est une infrastructure. Quand je parle du très haut débit, je parle de chantier. Ce n’est pas un hasard. Il faut que l’on amène tous les acteurs du numérique, les opérateurs télécoms en première ligne, dans une stratégie de concentration au niveau européen qui nous permette d’être compétitifs. On ne peut pas se permettre de vivre une seconde décennie meurtrière dans les télécoms, comme celle que l'on a vécue. Pour cela il faut penser européen et se projeter dans les services numériques de demain.

Le chantier de la fiscalité numérique avance-t-il ?

L'Europe c'est 505 millions de consommateurs. Le risque est que l’on devienne le continent des usagers du reste du monde. La fiscalité est un enjeu fondamental. Nous attendons beaucoup du groupe de travail de l’OCDE pour qu’il y ait une inflexion sur les règles qui devrait s’appliquer à l’optimisation fiscale. Mais on se heurte à des oppositions politiques très fortes, notamment de la part des pays qui ne jouent pas le jeu de l’harmonisation fiscale. Ce sont toujours les mêmes : le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et pour une part le Royaume-Uni. Mais je suis persuadée que l‘harmonisation fiscale est la condition du sursaut économique de l’Europe. Si cela ne se fait pas à 28, cela se fera au sein de la zone euro. Et sinon, cela se fera sur la base de coopérations renforcées au sein d’un groupe plus réduit d’Etats. On n’a pas le choix.

Cette ambition européenne ne s’oppose t-elle pas à la nature du numérique, par essence global ?

Si l'on déduisait en droit et dans nos politiques publiques le fait que le numérique est global, cela signifierait qu’il n’y a pas de loi dans le numérique. Aujourd’hui, les lois, ce sont les "small prints", les conditions commerciales définies par GoogleFacebook et Apple [et écrites en petits caractères, d'où "small prints", ndlr]. Tous ont des stratégies de détournement des applications territoriales des règles internationales. Dans les négociations avec ces acteurs nous pèserons moins lourd au niveau national qu'en nous alliant avec nos voisins européens.

Ce qui se passe autour de la réforme de l’Icann [l'Internet corporation for assigned names and numbers administre les noms de domaines, ndlr], est au cœur de cette problématique. Cette société de droit privé, dont le siège est en Californie, considère que ce sont les sociétés candidates à la délégation des noms de domaines génériques qui doivent décider de l’avenir commercial réservé à des pans entiers de l’économie.

Le domaine ".vin" par exemple, est un enjeu pour la filière viticole française et ses 13 milliards d’exportation annuelle. Un secteur ancré dans les territoires et qui crée de l’emploi. Le délai pour les négociations sur le .vin et le .wine a expiré le 3 juin, sans accord. Et il est fort probable que le gouvernement américain a demandé aux sociétés candidates de ne pas trouver d’accord. Les professionnels demandent à la France de boycotter la prochaine réunion de l’Icann à Londres [du 22 au 26 juin 2014, ndlr], qui célébrera la cinquantième session de l’organisation, si une décision est rendue dans les conditions actuelles. C’est à dire de manière totalement opaque, sans procédure de recours, contrairement au droit, et aux règles du Conseil de l’Europe. Il faut que ce type de débats devienne un sujet public car l’enjeu est très grand pour de nombreux secteurs et de nombreux professionnels. C’est pourquoi le gouvernement a adressé une lettre au président de la Commission pour lui demander de positionner l’Europe sur ce sujet de la gouvernance du net.

La gouvernance actuelle a bien fonctionné pendant dix ans. Il n’y a pas eu de problème important pour le .fr ou le .eu et le système a fait ses preuves en faisant d’internet un réseau à 3 milliards d’utilisateurs. Mais pour l’attribution de noms de domaines commerciaux, cela devient plus compliqué et les Etats revendiquent un statut spécifique qui n’est pas reconnu aujourd’hui.

Ce sujet figure-t-il dans les négociations de l’accord transatlantique ?

Non, la question de l’Icann n’est pas dans le mandat de la négociation de l’accord de libre échange transatlantique mais celui du respect des indications géographiques protégées y est présent. Il est certain que si une décision défavorable devait être rendue dans cette affaire, cela créerait un précédent jurisprudentiel, qui aurait un impact sur l’approche du gouvernement français dans la stratégie de négociation.

Sur ce sujet, nous sommes en total accord avec la Commission européenne qui partage notre sentiment d’être tenus à l’écart. Aujourd’hui, un Etat démocratique est placé au même niveau qu’une société commerciale. C’est la raison pour laquelle nous demandons une réforme de l’Icann. L’Icann ne doit plus être liée organiquement et exclusivement au Département du commerce américain. Elle doit être internationalisée et son siège doit quitter la côte californienne. Il faut revoir entièrement la gouvernance, les procédures décisionnelles et donner un rôle spécifique aux Etats.

De la même manière, le règlement sur les données personnelles n’est pas dans le mandat. Les Etats-Unis voudraient que la question de la circulation des données entre dans le TIPP [Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, ndlr]. L’Union européenne refuse pour le moment car elle considère qu’il faut pouvoir préserver notre capacité à légiférer sur ce sujet. Sur tous ces points, un groupe de travail a été formé à l’issu du dernier conseil des ministres franco-allemand, en mars. L’idée est de présenter des propositions communes à la prochaine Commission et aux autres Etats membres, pour qu'un vrai leadership soit pris en matière de numérique et pour pousser une stratégie numérique commune.

Le classement européen sur l’emploi dans le numérique, publié il y a quelques jours, ne place la France que légèrement au dessus de la moyenne. Sans surprise ce sont les pays nordiques qui sont en tête, loin devant. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela ne m’inspire aucun découragement. Je connais bien les pays nordiques. Je suis nordique moi-même et ce sont les pays de ma circonscription [Axelle Lemaire est députée de la 3e circonscription des Français établis hors de France, qui regroupe les pays nordiques, ndlr]. Ce n’est peut-être pas par hasard que j’ai été nommée à ce poste. Mais lorsque l’on parle de retard, il faut préciser le discours. On oublie que la France est le troisième pays du monde en matière d’open data, devant de nombreux pays nordiques. Le premier étant le Royaume-Uni.

On oublie aussi nos atouts : j’insiste souvent sur le niveau de formation. Il faut que l’on comprenne que le numérique nécessite une approche transversale des problématiques. Or la formation en France est traditionnellement axée sur la spécialisation technologique par silos industriels. Pour être innovant dans le numérique, il faut savoir travailler très en amont avec les techniciens, les ingénieurs, les designers, les créatifs, ceux qui font du marketing... Cette approche, inhabituelle en France, se développe dans les écoles de design ou d’informatique. Il faut continuer à la pousser.

En France, la multiplicité des acteurs impliqués dans les plans numériques validés récemment, n’empêche-t-elle pas l’émergence d’un grand champion européen ?

On ne sait pas qui seront les leaders mondiaux dans ces domaines [Cloud, Big Data, textiles intelligents..., ndlr]. Je pense au contraire que la méthode est assez nouvelle et très intéressante : à une même table s’assoient les représentants de l’Etat, de l’administration, des branches financières publiques (CDC, BPI), des grands groupes et des start-up. Avec un objectif, qui n’est pas de pousser un acteur ou un autre, mais d’identifier les priorités stratégiques du secteur pour faire naître des filières. Je suis assez optimiste sur ce qui se dégage pour le moment. Par exemple, dans le cloud computing, OVH travaille étroitement avec Atos et Bull. Ils ont abouti à un plan très opérationnel qui peut être mis en œuvre par l’un ou par l’autre, ou toute autre entreprise qui se destine à se spécialiser dans ce secteur.

Mais, comme Amazon ou Google qui ont déjà pris toute la place dans la distribution et la recherche en ligne, ne faut-il pas un seul grand leader qui s’impose mondialement ?

Au départ Google n’était pas le géant du Web 2.0 d’aujourd’hui et n’avait pas la stratégie expansionniste qu’il a aujourd’hui. Rien n’empêchera, demain, les concentrations dans certains secteurs. Elles seront même favorisées lorsque les filières seront plus mûres. Mais il est difficile de parler de manière générale. Par exemple, dans les objets connectés, on a tout intérêt à favoriser un foisonnement d’initiatives pour le moment, plutôt que de choisir un leader qui va se spécialiser et ne fera que ça. Je crois vraiment beaucoup à la notion d’écosystème.

La stratégie de fabrication de grands leaders a été essayée dans le passé, notamment dans le cloud. Mais je pense que l’innovation ne se décrète pas. Et encore moins depuis un bureau à Bercy. En revanche, quand une entreprise émerge en France, il faut qu’elle trouve toutes les ressources pour se développer et conquérir des marchés qui sont, dans le cas du numérique, souvent mondiaux. C’est l’enjeu aujourd’hui.

Propos recueillis par Aurélie Barbaux, Pascal Gateaud et Charles Foucault.

 
 

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