À la recherche de plus d'agilité, les grands groupes envient la dynamique interne qui existe dans les start-up. Ils s'en inspirent pour lancer des projets innovants.
Bousculés par la culture digitale qui révolutionne les méthodes de travail, les managers s'interrogent. « Les réussites fulgurantes de la bande Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) piquent la fierté des grandes entreprises. Empêtrées dans des organisations matricielles où certaines tâches sont réalisées trois fois, le besoin de sortir des projets de façon plus rapide se fait sentir », analyse Thomas Faivre-Duboz, cofondateur de Converteo. Les vieux modèles sont mis sur la sellette confirme Valérie Rocoplan, présidente de Talentis : « Conscientes que le management pyramidal ne convient plus à la marche du business, les entreprises essaient de repenser leur organisation en s'inspirant des clusters. »
Dans un organigramme à tiroirs, difficile de trouver une oreille sensible à l'expression d'idées nouvelles.« La responsabilité diluée dans une grande entreprise encourage l'inaction », résume Thomas Faivre-Duboz, qui plaide pour le passage d'une hiérarchie verticale à une organisation horizontale, libératrice d'initiatives. Exemple concret chez Vente-privee.com. Après avoir connu une expansion incroyable et déployé une hiérarchie en conséquence, le site, qui n'a plus rien d'une start-up, revient à une organisation souple. Son patron, Jacques-Antoine Grangeon, « souhaite diminuer les multiples strates de responsabilité. Le but étant de réduire le temps de parcours entre celui qui a une idée et la personne qui la développe ».
Pour déjouer les pièges de la taille, Microsoft a concrétisé parmi les premiers le management collaboratif : « Le travail s'organise en dehors des niveaux hiérarchiques qui sont au maximum de six.Les communautés priment via des plates-formes permettant une circulation de l'information rapide et partagée entre tous les services et donc une contribution permanente et ouverte aux sujets »,détaille Caroline Bloch, responsable RH France, qui souligne que ce type d'organisation, fondée sur la confiance, se marie parfaitement avec la « déspatialisation des collaborateurs », c'est-à-dire la libre organisation de leur temps de travail.
Outre le besoin d'indépendance, l'une des aspirations des nouvelles générations est l'adhésion au projet, y compris chez les plus diplômés. « Le taux de jeunes HEC qui s'orientent à la sortie de l'école vers des PME ou montent leur propre start-up, grâce notamment à l'incubateur de l'école montre que le besoin de s'identifier à un projet entrepreneurial est important », souligne Thomas Faivre-Duboz, en pointant un levier de motivation délaissé par les grandes entreprises.
La transparence sur la stratégie de l'entreprise devient dès lors un prérequis. « Régner par le contrôle de l'information et le savoir est désuet », précise Gilles Bonnenfant, président d'Eurogroup Consulting, qui rappelle que la digitalisation a révolutionné la circulation de l'information et modifié les postures managériales. « Avec les réseaux sociaux, un directeur communication se trouve dans l'impossibilité de contrôler chaque message émis », illustre Perrine Grua, directrice générale d'Aquent. « Instiller l'esprit start-up, c'est intéresser les salariés à l'évolution positive de l'entreprise, fédérer nonpas autour des rémunérations, mais autour de rêves identiques », résume Gilles Bonnenfant.
« Dans les grandes entreprises, l'innovation est compliquée à mettre en œuvre, car chacun veut couvrir ses risques, ce qui est aux antipodes de la créativité »,assure Thomas Faivre-Duboz, lequel suggère aux majors de créer une start-up ou bien leur propre incubateur.Bouygues Telecom a retenu la première solution dès 2010 avec B & You. Cet opérateur mobile 100 % digital fonctionne en totale autonomie, avec une équipe et une approche commerciale propres. « Pour mener un projet en rupture avec l'existant, il faut pouvoir l'isoler. Difficile de mener une innovation radicale et de prendre des risques immergé dans les processus et les structures d'un établissement qui gère 10 millions de clients mobiles », souligne Stéphane Martin, directeur transformation, performance et progrès de l'opérateur. En lançant idTGV, la SNCF a suivi dès 2004 ce même modèle : la structure, affranchie de la culture de la maison mère, a eu carte blanche pour bâtir son offre de « pure player » du Web.
Thales a choisi une autre voie avec la création en son sein d'un « design center », inspiré du « design thinking » initié par l'université Stanford. Utilisé par les start-up pour faire émerger la créativité, ce concept fait appel à de nouvelles approches d'anticipation des besoins des utilisateurs. Concrètement, à Jouy-en-Jousas, stratèges, managers, designers et ingénieurs se réunissent autour de projets et partagent leur vision afin de concevoir, par exemple, un cockpit d'hélicoptère. « Cet incubateur d'idées produit des résultats qui ne verraient probablement pas le jour dans d'autres conditions », constate Alain Oumeddour, directeur de Thales Université.
Se mettre plus souvent dans la peau du client est la dernière recommandation de Thomas Faivre-Duboz.« Avant d'ouvrir leur porte-monnaie, les fonds d'investissement demandent : quel problème résout cette start-up ? » Plutôt que créer de nouveaux besoins, le consultant suggère de répondre aux demandes existantes. C'est le raisonnement suivi par Dell avec IdeaStorm.com : les suggestions déposées sur ce site encouragent la SSII à développer de nouvelles fonctionnalités. Sur le même principe, Intel a mis en place une communauté permettant à ses ingénieurs, partenaires et clients de discuter de l'avenir du processeur.
Dans le secteur bancaire, deux réseaux appliquent « l'open innovation ». Société Générale convie des start-up à débattre avec les salariés des outils de demain. Au Crédit Agricole, la cocréation d'applications entre développeurs chevronnés et clients au sein du CA Store a généré « Geo Facto » pour localiser ses dépenses ou encore « What's that line » pour identifier une ligne bancaire incompréhensible et la « forwarder » à son conseiller…
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