Management
« De base, j'aime pas trop qu'on m'inclue dans un groupe, sans rien me dire. Déjà. » Le ton est donné avec le vidéo bloggeur Hugotoutseul, qui illustre avec dérision le côté supposé rétif de sa génération, dite Y.
Après plusieurs années de publications diverses consacrées aux caractéristiques de ces jeunes nés entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990, on pouvait raisonnablement imaginer que les « Yers » - c'est le nom qu'on leur donne - constituaient une problématique mobilisatrice pour les entreprises alors que, déjà, surviennent les premiers Z, ces représentants de la génération « Petite poucette » du philosophe Michel Serres. C'est toujours le cas et rien n'est encore résolu. Les nombreux colloques et manifestations professionnelles qui continuent de se tenir çà et là traduisent même une incompréhension persistante entre les entreprises et les nouveaux arrivants. « Ils ont un rapport au travail que les personnes de ma génération ont parfois du mal à appréhender », lâche sans acrimonie Xavier Segrestin, responsable des solutions de recrutement chez Futurestep (Korn Ferry). Quoi qu'il en soit, « le terreau de départ est bon : ils entraînent les managers à repenser la manière de diriger », souffle Jean-Louis Raynaud, directeur de l'Advanced Management Program de l'Edhec.
Il n'y aurait pas de péril jeune, mais quelques points à apprécier.
Les Gen Y savent s'adapter au marché du travail
Trois quarts des « Yers » ont fait des compromis pour se faire une place sur le marché du travail. Interrogés dans le cadre d'une enquête mondiale par Pwc publiée en 2012, 36 % des répondants français déclaraient avoir accepté un salaire inférieur à leurs attentes, 22 % indiquaient travailler pour un secteur d'activité autre que celui souhaité et 19 % annonçaient avoir accepté un emploi sous-qualifié par rapport à leur formation.
« Ils ont le sens des réalités, sont lucides et adaptables, et ils acceptent l'idée qu'ils seront obligés de faire autre chose que ce à quoi ils se destinaient au départ », pose Emmanuel Monnier, responsable du programme Business Analyst pour jeunes diplômés, chez Kurt Salmon. Mais « comme les salaires à l'embauche ne sont généralement pas très élevés, nous voulons évoluer rapidement », précise Camille Ponsonnet, vingt-neuf ans, responsable de formation chez Gfk.
Les Gen Y mettent moins d'affect que leurs aînés dans leur rapport à l'entité « entreprise »
Un « Y » serait destiné à changer d'employeur 29 fois au cours de sa carrière, rapporte Jean Pralong, professeur à la Rouen Business School. De quoi mettre une certaine distance avec l'entreprise, dont ils « n'ont pas une vision sacro-sainte » souligne Jean-Louis Raynaud (Edhec), expliquant qu'ils « n'ont plus aucune illusion sur la sécurité de l'emploi ». Sont-ils pour autant déloyaux ? « Non. Je suis détachée », analyse Caroline Colin, vingt-huit ans, consultante dans le secteur de la finance. « Lors d'un plan social dans ma précédente entreprise, j'ai compris que les salariés étaient des matricules, des forces de production. D'une certaine façon, ça m'a libérée. Dans mes relations avec l'entreprise, je me suis imposée une règle, celle du "donnant-donnant" », explique la jeune femme, qui estime l'engagement à son métier « total », mais n'éprouve aucun « sentiment » d'appartenance. « Ils ne croient pas aux grands discours d'entreprise », confirme Laurent Choain, DRH de Mazars. « Bosseurs, engagés, ne comptant pas leurs heures, ils sont néanmoins difficiles à ferrer. Comparés aux générations précédentes, ils ont bien moins d'affects vis -à-vis de l'entreprise. En revanche, ils se lient facilement avec leurs collègues », complète Valérie Accary, présidente de BBDO France.

Les Gen Y veulent s'accomplir et sont en quête d'un équilibre
Avec eux, c'est le principe du « work hard, play hard » qui prévaut. Le « fun », l'ambiance, ne sont pas des fins en soi, mais ils ne veulent pas percevoir leur métier comme une contrainte. « Ils envisagent leur journée dans l'entreprise comme un temps global, où peuvent se mêler les missions professionnelles, les activités réseaux et les occupations personnelles, quitte à allonger leurs horaires de présence », décode Xavier Segrestin .
L'une des principales conséquences est leur aspiration à devenir entrepreneur. « Plusieurs sont déjà venus me voir, demandant une rupture conventionnelle afin de monter leur propre entreprise », confie un dirigeant. « L'envie d'être autonome dans sa prise de décisions est un souhait fort de ma génération », établit Clara Moreau, devenue associée gérante de Primo Finance, il y a quatre ans, à seulement 25 ans. « Je cherchais une forme de liberté professionnelle. J'avais envie de façonner une entreprise à mon image et à celle de ma génération », confie Baptiste Vavdin, vingt-neuf ans, cofondateur de Mobiskill Partner, cabinet de recrutement de spécialistes web et mobiles. « J'ai envie d'être plus heureux au quotidien », résume Julien Gautier, qui a demandé un mi-temps pour pouvoir créer son entreprise.
Les Gen Y cherchent constamment à développer leurs compétences
« Leur capacité d'apprendre est exceptionnelle », constate Laurent Bibard, professeur de management à l'Essec. 55 % d'entre eux considèrent qu'il faut s'inscrire dans une démarche d'apprentissage tout au long de la vie pour réussir, selon l'enquête menée l'année dernière par Mazars et l'association WoMen'Up. A l'instar de Caroline Colin, qui a passé deux certificats pour enrichir sa formation depuis qu'elle est en poste, ces jeunes veulent anticiper sur les emplois suivants. Et avoir un retour sur les tâches accomplies. « Ils veulent connaître leur score », synthétise Laurent Choain.
Les Gen Y sont ouverts aux nouveaux outils et plus rapides
Ils ont l'habitude d'avoir un accès rapide à l'information - d'où peut-être cette impatience qui semble les caractériser - mais aussi « une façon plus fluide de s'organiser », pointe Laurent Choain.
Pour Isabelle Michel-Magyar, directeur de la diversité et de l'engagement collaborateur de Schneider Electric : « Leur exigence d'interactivité, sollicitant le manager, est un atout formidable pour l'entreprise : les dossiers avancent plus vite. Leur approche collaborative décloisonne les choses et c'est extrêmement positif car l'innovation naît de cette rapidité d'exécution, de cette interactivité. »
« Cette génération a pris l'habitude de jongler avec les informations », analyse le psychiatre Roland Jouvent, en pointant toutefois les contrastes susceptibles de survenir entre ce cerveau multimodal et les interactions sociales. « Les nouvelles technologies dépourvues de signaux émotionnels sont désincarnées ; d'où un risque d'échanges maladroits dans le monde du travail », explique l'ancien directeur de recherche du CNRS.