Il fallait oser faire What The Teuf. Oser se lancer dans une telle aventure. A l’époque, l’équipe se disait que si elle parvenait à livrer tous les épisodes prévus, alors, «ça serait déjà une victoire». Personne n'avait jamais produit de la fiction d’un jour sur l’autre. A y regarder de plus près, on comprend pourquoi. Car le temps manque, et manque vite. Benjamin Euvrard, producteur exécutif, réalisateur et scénariste de la série se souvient qu’il ne pouvait faire sa nuit –de trois heures– que s’il savait en son for intérieur que l’équipe avait tout donné. En ce sens, qu’il maîtrise l’intégralité du processus artistique s’est révélé être un atout pour l’organisation du projet.

En trois semaines, la série a généré plus de 10.000 tweets, dont presque 4000 propositions de scénarios. «Ouf !», disent aujourd’hui ses créateurs, qui avant de se lancer préféraient surtout ne s'attendre à rien… Les gens allaient-ils envoyer une ligne de dialogue ? Ecrire une histoire très construite ? Et même s’intéresser au projet ? Tout était possible. Twitter, c’est à la fois beaucoup d'excitation mais également une très grosse contrainte. L’impression d’avoir « 300 personnes autour de [soi] qui commentent en direct» ce qui se passe à la table de travail. Cela peut faire beaucoup de bruit. Finalement, un lien s’est crée entre les insiders et les participants extérieurs, le tout formant une joyeuse communauté. 

C’est D8 qui a accepté le projet, une «petite chaîne de la TNT». Une bonne option pour la production, qui avec moins de moyens a pu travailler vite et s’est épargné les interminables négociations qui vont de pair avec les gros budgets. Et puis, «il ne fallait pas faire quelque chose d'édulcoré» sous prétexte de faire de la télévision. Un pari plus facile à tenir sur D8, «en quête de différenciation et d'originalité». Dans le paysage audiovisuel français, ce concept n’est pas simple à faire comprendre. «En France, plus vous montez dans la hiérarchie, plus les gens sont âgés», et dire que ces décideurs ne sont souvent pas les personnes les plus connectées n’est pas leur faire insulte. A leur yeux, Internet peut paraître vraiment abstrait. Le risque du bad buzz par exemple. Une situation que «le marketing à l'ancienne» n'aime pas. Pourtant les choses sont en train de changer. Pour une simple raison générationnelle. Aujourd’hui, il est impératif de comprendre pourquoi les Youtubeurs dont l’humour se destine aux 11-18 ans sont ceux qui font le plus de vues. C’est un élément essentiel de la stratégie d’une fiction tournée vers le digital. Le partage de vidéos «LOL» a remplacé les blagues que l’on se racontait entre copains. Un réflexe qu'il faut avoir sous peine d’être condamné à faire partie des spectateurs plutôt que des relais d'information. «Le partage est dans l'ADN de ces jeunes et les choses pourraient bien changer lorsqu’ils auront remplacé la génération actuelle.»

Internet est une mine d’or pour la création de fiction. Le spectre est large entre un projet comme What The Teuf, très couteux, et les podcasters de Youtube, qui ne dépensent presque rien pour produire du contenu. C'est sans doute une des raisons pour laquelle ils fleurissent. Mais il y a de plus en plus de moyen sur Internet, qui fait de moins en moins figure de second écran. La contre-partie, c'est qu'il y a une multitude de programmes et qu’il n'est pas simple de se faire remarquer. Le système a donc besoin de «early adapters», c’est-à-dire de gens qui pointent vers les pépites qui sortent de la masse. Aux sites de références et aux blogueurs de repérer pour les autres les produits de qualité. Ils sont choisis pour proposer un contenu éditorial innovant et jouer le rôle de filtre, car «le monde a beau être à notre portée, on n'a pas le temps de le découvrir». 

What the Teuf - épisode 1