TRIBUNE Dans sa nouvelle chronique, Alain Cadix évoque la place insuffisante de la France parmi les pays européens les plus innovants. Chargé de la Mission Design par les ministres du Redressement productif et de la Culture, l’ancien directeur de l'École nationale supérieure de création industrielle expose chaque semaine pour L'Usine Nouvelle sa vision des mutations de l'industrie par le prisme du design et de l'innovation.
La Commission européenne vient de sortir son tableau de bord annuel de l’innovation. Cette année encore (mais peut-on constater de grands changements d’une année sur l’autre ?) la France n’est pas bien située. Quatre catégories de pays sont proposées : les "leaders" en terme d’innovation (Suède, Danemark, Allemagne, Finlande), puis les "suiveurs" (Luxembourg, Pays-Bas, plus loin Grande-Bretagne, plus bas encore France, etc.), puis les "modérés" (où l’on trouveEspagne, Italie, une bonne partie de l’Europe centrale), enfin, fermant la marche les "modestes" (Roumanie, Lettonie, Bulgarie). La France, deuxième puissance économique d’Europe, n’est qu’en 11ème place dans ce classement.
INNOVATION : CINQ CRITÈRES POUR ÉVALUER LES PAYS EUROPÉENS
Un tableau de bord de cette nature est toujours critiquable, mais il donne une vision d’ensemble qui situe les grands enjeux. Sur les 25 critères permettant de classer les pays, j’en ai choisi cinq pour étayer mon propos : les dépenses de R&D dans les entreprises, les dépenses "non-R&D" liées à l’innovation, les dépenses pour des dépôts de brevets communautaires et celles pour des dépôts de dessins et modèles communautaires ; enfin, la part des PME introduisant des innovations de produits ou de process.
Si nous donnons la valeur 100 pour la moyenne de chacun d’eux à l’échelle de l’Union, voici comment se situerait la France par rapport aux quatre leaders. Ces indicateurs prennent en compte les valeurs relatives des critères, par exemple par rapport au PIB national.
Effort relatif |
R&D, secteur privé |
Dépenses "non-R&D" d’innovation |
Brevets communautaires |
Dessins et modèles communautaires |
PME innovantes (*) |
UE 28 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Suède |
176 |
114 |
150 |
101 |
123 |
Danemark |
150 |
91 |
129 |
171 |
108 |
Allemagne |
149 |
157 |
138 |
156 |
148 |
Finlande |
178 |
91 |
150 |
101 |
117 |
France |
111 |
45 |
104 |
78 |
85 |
(*) Interprétation : dans l’Union, la part des PME innovantes (produits, process) dans l’ensemble des PME est de 38,4%. Elle est de 57% en Allemagne et de 32,7% en France.
Sans vouloir ajouter aux discours alarmistes, nous ne pouvons ignorer que cette place moyenne de la France est évaluée dans un peloton, celui de l’Europe, qui globalement est en perte de vitesse au niveau mondial, notamment dans les secteurs industriels les plus en pointe. Trois indicateurs attirent plus particulièrement l’attention, tant la position de la France y est décalée.
Le premier, le plus défavorable, est celui des dépenses "non-R&D" liées à l’innovation ; il prend notamment en compte les investissements réalisés dans l’appareil productif et diverses dépenses comme celles de design, de marketing, etc. : l’Allemagne fait un effort 3,5 fois supérieur au nôtre. Le deuxième est celui des dépôts de dessins et modèles communautaires : le Danemark fait plus de 2 fois mieux que nous. Le troisième, synthétique, met en avant la part de PME innovantes dans notre tissu de PME. L’Allemagne obtient un score 1,7 fois supérieur au nôtre.
LA MODERNISATION PASSE PAR L’INVESTISSEMENT DANS L’APPAREIL PRODUCTIF...
Une attention soutenue est actuellement portée à nos start-up ; c’est important car elles représentent une part de notre économie et de nos emplois de demain. Mais il nous reste un vaste tissu de PME à relancer, à moderniser. Cela doit être une priorité.
La modernisation passe par l’investissement dans l’appareil productif, mais aussi distributif au niveau mondial. Les outils numériques devraient y occuper une place centrale. Cela suppose que les marges puissent être reconstituées et que le dispositif public et privé de financement de l’investissement soit performant.
Il serait opportun que dans le pacte de responsabilité, en contrepartie d’un allègement des charges, une attention toute particulière soit portée à l’effort d’investissement de modernisation des PME. Cependant notre dispositif de financement des entreprises n’est pas à la hauteur des enjeux. La création de Bpifrance et le lancement du financement participatif par Fleur Pellerin ouvrent des perspectives prometteuses mais notre capital-développement (early stage, mais surtout mid stage) est atone.
Notre système bancaire demeure d’une grande prudence. Cela pénalise les entreprises établies ; cela menace aussi nos start-up high tech qui, pour se développer, sont tentées de "s’offrir" à de plus disants étrangers, notamment américains, avec la menace de l’absorption / dissolution dans les structures acquéreuses.
...ET PAR LE RENOUVELLEMENT QUALITATIF DE L’OFFRE DES PME
La modernisation passe aussi par le renouvellement qualitatif de l’offre des PME. Il est symptomatique d’observer que les quatre leaders européens en terme d’innovation sont des pays où le design est ancré dans la culture industrielle. Les scores dans les dépôts de dessins et modèles communautaires vont plutôt dans ce sens. Les pays scandinaves ont une tradition bien établie, légendaire en matière de design. L’Allemagne le possède dans ses gènes industriels et culturels : n’oublions pas qu’elle est la patrie du Bauhaus et, avant, du Deutscher Werkbund, ainsi que de l’école d’Ulm. Nous en sommes encore loin.
Bref, ne nous dispersons pas dans des dizaines de mesurettes ! Le renouvellement des produits et des process de nos PME est urgent. Pour cela, l’investissement productif et le design sont deux voies incontournables ; il est nécessaire d’en déblayer prioritairement l’accès. Mais pour les emprunter il faudra aussi du rêve, de l’envie, de la confiance. C’est un autre sujet.
Alain Cadix, chargé de la Mission Design auprès des ministères du Redressement productif et de la Culture.
@AlainCadix