16 janv. 2014 -
N’avez-vous pas de plus en plus l’impression que tout devient flou, mouvant, insaisissable ? Il ne s’agit pas seulement d’une impression, mais d’un fait de société et… d’un avant-goût du futur. Nous entrons en effet dans un monde où les frontières ne disparaissent pas mais se décalent devant nous en permanence. Tous les domaines de la vie sont concernés : l’âge, le temps, l’espace, le corps, le travail, etc.
Certains de ces mouvements sont déjà bien amorcés et vont s’amplifier dans un proche avenir. C’est le cas de l’effacement des frontières entre les âges. Les progrès fulgurants de la médecine font sauter peu à peu les verrous du vieillissement. Conséquence : on se sent jeune de plus en plus longtemps et nous ne voulons plus renoncer aux plaisirs d’une vie émancipée du poids de la maturité. Difficile, dans ces conditions, de se repérer avec l’aide du seul état-civil. Une autre évolution marquante est celle du rapport au travail. Il sera de moins en moins rare de rencontrer des personnes cumulant plusieurs activités : décorateur une moitié de la semaine, informaticien ou comptable l’autre moitié. Ou cadre financier la journée, restaurateur le soir... En outre, l’effacement des frontières entre la vie privée et la vie professionnelle que nous observons aujourd’hui sera la règle. Avec l’usage de plus en plus intensif des nouvelles technologies, nous ne saurons jamais si notre interlocuteur travaille ou pas. D’un simple clic, il basculera dans l’univers de son choix : travail ou divertissement. En outre, la banalisation de l’image (photos, films) et la place grandissante du digital convertiront nos existences en mises en scène de soi permanentes. Nous évoluerons ainsi, dans la même journée, d’un rôle à l’autre en fonction de nos envies ou des circonstances.
D’autres déplacements des frontières sont en train de s’inventer sous nos yeux. C’est le cas du virtuel et du physique qui ne s’opposeront plus. Le magasin aura intégré le virtuel (m-payment, écrans tactiles, alertes promotion, etc.) et le virtuel saura exploiter les atouts des réseaux physiques (proximité, expérience, humanité). L’individu ne percevra plus de distinction entre les deux univers. Notre corps, quant à lui, sera connecté. Non contents de suivre sur smartphone l’état de notre santé, nous porterons des tatouages électroniques qui nous relieront en permanence à notre médecin. Une façon de profiter de la vie en conservant le maximum de sécurité, principe de précaution oblige…
En matière de consommation, l’aspiration croissante à découvrir des objets qui correspondent à notre personnalité nous conduira, selon le contexte, à acheter des produits neufs ou des produits d’occasion. Plus de frontières là non plus : les deux seront également valorisés. La personnalisation deviendra un puissant facteur de différentiation de l’offre. Et les imprimantes 3D nous rendront beaucoup plus impliqués dans la production des produits eux-mêmes. Sur le plan géographique, un véritable renversement de perspectives est à venir : le Sud ne suivra plus le Nord, mais le Nord sera de plus en plus inspiré par les innovations lancées au sud. En matière cosmétique, par exemple, l’Asie mène déjà de plus en plus la danse mondiale. On pourrait multiplier les exemples.
Il va donc falloir s’habituer à vivre dans le flou, le mouvant, le flottant. Plus que jamais, la métaphore de « liquide » appliquée à notre monde sera pertinente. Son géniteur, le sociologue Zygmunt Bauman, y percevait l’image exacte de l’évolution de nos sociétés. Des sociétés d’individus aux vies éclatées et aux objectifs sans cesse remis en cause — volontairement ou involontairement. Rien de solide donc. Nous y sommes presque.
Source : Marketing Magazine décembre/janvier 2014.