Saviez-vous que « crowdsourceur », c'est aussi un métier ? La division des tâches via Internet rend possible la création de grandesœuvres collectives, mais permet aussi de mutualiser la fabrication de services marchands. Des plateformes comme Amazon Mechanical Turk (AMT) ou MicroTravail.com en France se présentent ainsi comme de véritables marchés pour des petites tâches réalisées en ligne par un grand nombre d'internautes. Sauf qu'elles doivent encore s'organiser : c'est ce qu'explique le New Scientist.
Le phénomène étant très récent, cette forme de travail reste en effet peu encadrée, et le sort de toutes ces « petites mains » pose question : comment protéger les « pronétaires », cette nouvelle catégorie de micro-travailleurs rémunérés à la tâche, pour que le micro-travail puisse se développer dans le sens d'une véritable forme d'emploi alternative ?
À la base, la plateforme propose à un grand nombre de travailleurs de réaliser des tâches minuscules pour quelques centimes chacune, en les enrôlant dans un système « qui ne vous répond pas », explique Lilly Irani, chercheure en informatique à l'Université de Californie. LesTurkers, comme on les appelle, ne peuvent pas savoir si un offreur sera enclin à les payer rapidement pour leur travail, voire s'ils seront payés tout court, puisque leur travail peut être rejeté sans aucune explication.
Pourtant, selon une enquête menée par Lilly Irani, 20% des crowd workers ont besoin de cet argent pour parvenir à « joindre les deux bouts », car le micro-travail est leur source principale de revenus. Le New Scientist rapporte que la chercheure et son collègue ont donc construit un système d'évaluation des employeurs pour remédier à cette absence de responsabilité. Leur Turkopticon permet aux Turkersde laisser des commentaires publics et de noter les « micro-employeurs » sur la base de leur accessibilité, de leur générosité, de leur souci d'équité et de leur rapidité à payer.
D'autres plateformes ont déjà pris certaines de ces questions à cœur, comme MobileWorks, qui offre un bon nombre de garanties : salaire minimum lié au coût de la vie dans le pays du crowd worker,encadrement et coaching par des gestionnaires et options de progression dans la hiérarchie.
Niki Kittur, de la Canegie Mellon University de Pittsburgh, raconte au New Scientist :
« Les crowd workers ont besoin de promotions et de bonus, mais aussi de la possibilité de porter ces gains avec eux de plateforme en plateforme comme une référence. Ainsi, ceux qui montreront qu'ils sont capables de réaliser des tâches plus compliquées à crowdsourcer pourront gagner davantage ».
Le chemin reste encore long pour assurer à ces travailleurs des droits semblables à ceux des véritables employés. Même si leTurkopticon améliore quelque peu la situation des utilisateurs d'AMT,« il n'y a pas de congés payés, de congés maladie, ni d'arbitrages possibles si vous pensez avoir été traité injustement », rappelle Anne Midwinter, une microbiologiste à temps partiel qui a accompli 28 000 tâches sur la plateforme au cours des cinq dernières années.
Tant que cette forme de travail ne sera pas véritablement encadrée,« ces efforts comptent peu », a déclaré au New Scientist Trevor Scholtz, de la New School University de New York :
«Les gens se sont battus pendant cent ans pour la journée de travail de huit heures et les congés payés, et contre le travail des enfants. Tout cela est effacé dans ces environnements numériques».
Pour lui, les crowd workers devraient former un syndicat transnational.Et pour le reste, il faudra attendre que les pouvoirs publics se mobilisent. Dans l'Oregon, la justice est déjà amenée à trancher sur un premier cas : une plainte contre la plateforme CrowdFlower, accusée de violer la loi américaine sur le salaire minimum fédéral.
Le crowdsourcing (en français collaborat1 ou externalisation ouverte2), un des domaines émergents de la gestion des connaissances, consiste en l'utilisation de la créativité, de l'intelligence et du savoir-faire d'un grand nombre de personnes, en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par un employé ou un entrepreneur.
Ceci se fait par un appel ciblé (quand un niveau minimal d'expertise est nécessaire) ou par un appel ouvert à d'autres acteurs. Le travail est éventuellement rémunéré. Il peut s'agir de simplement externaliser des tâches ne relevant pas du métier fondamental de l'entreprise, ou de démarches plus innovantes.
Il existe de nombreuses formes, outils, buts et stratégies de crowdsourcing3. Le travail peut être collaboratif ou au contraire s'effectuer purement en parallèle. Dans une approche économique, il peut s'agir de remplir une tâche au moindre coût, mais des approches plus collaboratives, sociales ou altruistes existent, faisant appel à des réseaux spécialisés ou au grand public. Certaines démarches desciences participatives et sciences citoyennes l'utilisent, pour acquérir un plus grand nombre de données, à des échelles géographiques qui seraient autrement inaccessibles à des chercheurs insuffisamment nombreux ou ne pouvant faire preuve d'ubiquité (par exemple dans le domaine de l'astronomie ou des sciences environnementales).
Le crowdsourcing peut être « actif » (des gens collaborent à trouver une solution à un problème) ou « passif » (on peut par exemple déduire du nombre de recherches sur un thème sur internet la popularité d'un sujet et en faire une information d'intérêt ; ex : Google a« observé une relation étroite entre le nombre de personnes faisant une recherche sur le mot et le sujet « grippe » et le nombre de personnes ayant des symptômes grippaux ». Le nombre de recherches sur le mot grippe augmente en période d'épidémie et de la part des gens grippés4, ce qui peut intéresser les épidémiologistes ou l'OMS, en tenant compte aussi d'éventuels effets de buzz suscités par la médiatisation d'un sujet).
Ce néologisme (et mot-valise) semble avoir été conçu en 2006 par Jeff Howe et Mark Robinson, rédacteurs à Wired magazine dans un article intitulé The rise of crowdsourcing6 (la montée ducrowdsourcing). Jeff Howe y explique que les sauts technologiques et la diffusion des outils informatiques bon marché ont fortement réduit certains écarts entre professionnels et amateurs. Cela permet à des entreprises de profiter du talent de la population, ce qui, selon Howe, n'est pas l'externalisation, mais du crowdsourcing.
Des projets faisant appel à une intelligence collaborative et à l'internet existaient depuis plusieurs années avant ce néologisme, tels que le LazyWeb, les jeux utiles de Luis von Ahn (ESP Game) ou l'approche reCAPTCHA utilisée pour certains cryptages de sécurisation du Web (inspirés de la CAPTCHA, qui dérive de l'utilisation de l'humain pour une numérisation mieux vérifiée des livres). D'autres exemples de grande ampleur existent, dont par exemple ;
Le terme est rapidement devenu populaire auprès de certaines entreprises, auteurs et médias, comme raccourci pour désigner une tendance émergente à utiliser une certaine collaboration de masse permise par les technologies dites Web 2.0, pour atteindre des objectifs économiques, culturels, sociaux ou scientifiques.
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication, et en particulier de nouveaux outils de travail collaboratif ou participatif ont depuis les années 1990 fortement facilité et outillé ces approches.
En 2007, apparaît Ushahidi, un site qui permet d'agréger des informations en temps réel lors de crises. Les informations, qui proviennent de courriels ou de SMS d'acteurs anonymes, sont géolocalisées, triées et présentées sur le site en temps réel. Initialement créé pour documenter les violences postélectorales au Kenya en 2007-2008, il sert régulièrement depuis pour d'autres troubles sociaux et lors de catastrophes naturelles. Il s'agit, en quelque sorte de journalisme ou de gestion de crise crowdsourcé.
Les bibliothèques, les archives et les musées recourent également au crowdsourcing pour enrichir leurs catalogues et ajouter des métadonnées aux documents numérisés. Dès 2008, laBibliothèque du Congrès permet aux utilisateurs de rajouter des tags sur les photographies numérisées 8. De même, la Bibliothèque nationale australienne propose aux utilisateurs de corriger les transcriptions automatiques de journaux australiens obtenues par la reconnaissance optique de caractères9.
Avec les SIG (Systèmes d'Information Géographiques) collaboratifs et de nouveaux outils tels que OpenStreetMap ou WikiMapia, la cartographie s'ouvre aussi au crowdsourcing notamment via la cartographie citoyenne citizen mapping4.
Le crowdsourcing est riche de potentialité pour rendre l'internet plus durable ou soutenable et pour créer une société mondiale de l'innovation10, mais il questionne aussi le statut de l'expertise et de l'expert, ou encore la propriété intellectuelle d'un travail ou l'usage qui en sera fait (le crowdfunding, principe dérivé du crowdsourcing, est aussi parfois utilisé pour réunir les sommes d'argent présentées comme nécessaires à un projet ou à une entreprise) ou peut - quand il ne fixe pas ses règles éthiques - donner lieu à certaines dérives.
Une question souvent posée est celle de la responsabilité en cas d'erreurs ou de malveillance de la part des certains acteurs. Pour les promoteurs du crowdsourcing, la loi du nombre offre une puissance statistique qui permet d'éliminer un grand nombre de résultats douteux ou de faire faire les mêmes calculs ou des observations de même type, par des personnes différentes, et ainsi les valider. Mais ce n'est pas toujours possible (quand on cherche à observer un évènement rare par exemple).
Il arrive, en particulier dans le domaine des sciences humaines, que les experts professionnels fassent des erreurs, en recopiant des données non vérifiées, et que la précision ne soit pas garantie par le seul statut des rédacteurs.
S'il s'agit de poursuivre un but scientifique, la validité et la légitimité d'un travail basé sur le crowdsourcing nécessitent un protocole scientifique et technique clair, transparent, rigoureux etcrédible, et parfois des outils et moyens humains de validation statistiques et techniques.
Ces limites pratiques se retrouvent dans l'étude théorique11 du phénomène de crowdsourcing, notamment dans une approche par la théorie des coûts de transaction.
Le crowdsourcing, et certains modèles économiques ou politiques sous-jacents ont suscité des critiques et controverses12.
Dans certains cas, la « foule » des participants volontaires offre a priori généreusement ses compétences, ses données. Les participants peuvent estimer être en quelque sorte remboursés de leur travail par des résultats dont tout un chacun profitera, ou estimer que l'intérêt général du projet justifie leur participation5.
C'est par exemple le cas pour la communauté des internautes qui contribue aux wikis de type Wikipédia, Wikibook, Wikiversité, wikispecies, Wikinews, Tela Botanica, etc. C'est encore le cas quand les internautes se sont plus ou moins formellement organisés au travers de forums pour poser des questions sur les problèmes informatiques qu'ils rencontrent, et partager et évaluer les solutions proposées par d'autres internautes.
Autre exemple : depuis la fin des années 1990, des informaticiens cherchent à produire des algorithmes et des outils permettant de mieux utiliser, valider, qualifier ou optimiser le crowding14.
Dans d'autres cas, la force de travail ainsi mobilisée par des acteurs économiques, invite à rémunération. Se pose alors la question de la valorisation monétaire de ce type de production.
Un des ancêtres des applications économiques du crowdsourcing pourrait être trouvé au milieu du xxe siècle avec le mécanisme de démonstration-vente à domicile (par des ménagères invitant d'autres ménagères), développé par Tupperware pour vendre ses contenants en plastique hors des filières classiques de magasins.
L'exemple de micropaiement cité par Jeff Howe6 est celui de Claudia Menashe recherchant quelques photos pour illustrer la grippe aviaire sur un stand lors d'une exposition du National Health Museum (Musée national de la santé) de Washington. Elle entre en négociation, sachant son faible budget, avec un photographe professionnel, Mark Harmel, qui est prêt à lui concéder à un prix qu'il considère comme deux fois plus faible que ses tarifs habituels, 4 photos pour 600 $.
C'est alors que Claudia Menashe découvre sur iStockphoto des documents ayant les caractéristiques qu'elle recherche. Elle annonce à Mark Harmel qu'elle a trouvé son bonheur, s'étant procurée via iStockphoto, 56 images à environ 1 $ pièce. L'histoire se termine de la façon suivante : le photographe professionnel Mark Harmel a compris qu'il ne pouvait pas lutter contre une foule d'amateurs de mieux en mieux équipés (appareil photo à moins de 1 000 $, logiciel de traitement d'images, ordinateur personnel et Internet) consentant à être rétribués de 1 $ à 5 $ par photo. Il concentre maintenant son activité sur le travail à la commande.
Ce principe du micropaiement permet aux sites web de se rémunérer et à de nombreux contributeurs de se faire de l'argent de poche, ou un complément de revenus.
Un autre exemple de valorisation économique des entreprises utilisant le principe du crowdsourcing est celui des plateformes de concours de design. Le principe de ces plateformes est de proposer à ses clients la mise en ligne d'un concours de design afin de recevoir de nombreuses propositions de designs de la part des designers inscrits sur ces dites plateformes15.
On peut rapprocher le crowdsourcing du concept de « pronétariat » (néologisme du même domaine, proposé par Joël de Rosnay en 2005). Le crowdsourcing peut constituer une des activités lucratives, même si elle est marginale, du « pronétaire ». Si le bénévolat peut se résumer à l'engagement volontaire à un organisme à but non lucratif, œuvre sociale ou caritative, on ne peut pas le considérer comme synonyme de crowdsourcing, dans la mesure où des sociétés commerciales sont à l'origine de la création du concept.
Un autre concept dont la logique est proche de celle du crowsourcing est celui le la mise à contribution de la puissance de calcul d'un grand nombre d'ordinateurs individuels pour effectuer des calculs très longs ou très complexes.
Des projets de type « wiki » (Wikipédia par exemple), ou certaines études basées sur le crowdsourcing (ex : détection ou mesure d'indices phénologiques de changement climatique, suivi d'indicateurs de biodiversité, etc.) peuvent virtuellement ne pas avoir de limite5 (temporelle ou spatiale, tant que la « foule » des participants existe, et tant qu'elle entretient le projet et les outils qui lui sont nécessaires).
Un projet peut aussi évoluer, ou engendrer des sous-projets portés par une partie des acteurs.