ENTRETIEN Dirigeant d'In Up, Philippe Cirier travaille depuis plusieurs années sur l'évaluation des salariés. Il est l'auteur d'un livret qui propose un regard chrétien sur l'évaluation (publié par Les entrepreneurs et dirigeants chrétiens). Il promeut un entretien qui soit une réelle rencontre entre le salarié et son manager, plutôt que de se focaliser sur des objectifs.
L'Usine Nouvelle - Qu'est-ce qu'une bonne évaluation des salariés, sujet auquel vous venez de consacrer un ouvrage?
Philippe Cirier - Bien évaluer, c'est comprendre la personne mais aussi l'entreprise et la synergie existant entre l'une et l'autre. C'est donc bien plus que certaines pratiques d'entretiens d'évaluation où l'on se voit pour remplir des cases, vérifier si le salarié a rempli ses objectifs et lui en confier de nouveaux pour l'année suivante. Cette manière de faire est la pratique a minima, qui peut avoir des effets néfastes.
Lesquels ?
Réduire la personne à des objectifs, c'est une vision mécanique du rôle des uns et des autres. On passe complètement à côté du potentiel que chacun peut avoir. Or, pour la plupart des entreprises, les performances naissent de la capacité à s'adapter à des situations imprévisibles, à des environnements complexes. Ces aptitudes sont développées par les équipes ou par une personne. Nous ne vivons plus dans un monde où le grand chef a tout le savoir et où les salariés exécutent. Certains types d'évaluation font pourtant comme si tel était le cas.
Que faudrait-il faire ?
Par exemple, il y a une question qu'on ne pose jamais assez dans les entretiens d'évaluation, alors qu'il le faudrait. Le manager devrait demander "qu'as-tu fait pendant l'année que je ne t'ai pas demandé ?" Car beaucoup d'initiatives sont prises dans les entreprises par les salariés qui n'en réfèrent pas forcément à leur chef. Beaucoup de gens ne demandent que ça, alors même qu'on ne les sollicite pas. Le demander une fois par an et en tenir compte est une incitation puissante. Ce type d'entretien aura un effet plus positif qu'un entretien où le manager n'a qu'un regard critique sur ce qui n'a pas été fait.
Dans bien des entreprises, il faudrait donc revoir la manière de conduire les entretiens d'évaluation. Quels bénéfices pourraient en tirer les directions ?
Beaucoup de temps est perdu dans les entreprises en raison de dysfonctionnements humains. Une bonne évaluation qui libère les énergies aura des retombées à très court terme. Cela produit davantage de confiance en soi et de joie. Et des personnes qui travaillent mieux dans tous les sens du terme.
Vous écrivez que l'entretien doit commencer comme un face à face et se terminer côte à côte. Au-delà de la jolie formule, que voulez-vous exprimer de cette façon ?
A la fin de l'entretien, il faudrait arriver à définir un projet commun, à créer une sorte de partenariat, une motivation commune qui produira plus de performance.
Côte à côte veut dire qu'il n'y a plus de lien hiérarchique entre les personnes ?
Il existe toujours car pour beaucoup de personnes il est important. La hiérarchie donne un repère. Toutefois, cela ne veut pas dire que l'on est prêt à travailler sous des ordres autoritaires. On peut reconnaître sa hiérarchie, sans reconnaître une forme de soumission à des ordres tout puissants venus d'en haut.
Si on se place du côté de la personne évaluée, comment bien préparer l'entretien annuel ?
Elle doit prendre en compte les demandes de l'entreprise, mais aussi réfléchir à ce qu'il a fait de sa propre initiative et en parler. La personne évaluée ne doit pas hésiter à poser des questions sur l'avenir de l'entreprise, de son service, émettre des propositions. Il ne doit pas se mettre dans la situation d'un élève qui passe un examen.
En outre, la plupart des gens sont sous-utilisés dans l'entreprise, car ils ont des talents qui n'y sont pas reconnus. Il ne faut pas hésiter à les faire connaître. L'idée, c'est d'ouvrir le champ des possibles.
Quels conseils donnez-vous à celui qui mène l'entretien ?
C'est souvent pour les managers un moment difficile. Ça prend beaucoup de temps. D'autant plus que l'entreprise n'a pas de process très opérant pour l'évaluation. Avant l'entretien, quand on prend le rendez-vous, il faut dire clairement quels sont les enjeux et les rappeler au début. Je lui conseille aussi à la fin de fermer son cahier, de ranger ses feuilles et d'avoir un moment informel de partage avec la personne évaluée. Là aussi, il faut ouvrir, pour obtenir un échange plus personnel. Il faut savoir donner de l'importance à l'autre dans notre civilisation où le Moi compte autant.
Votre livre parle d'un regard chrétien sur l'évaluation. Qu'est-ce que la religion vient faire dans ce sujet. N'y a-t-il pas un risque ?
Je vais être très clair. Ce livre est né d'un groupe de travail pour les entrepreneurs et dirigeants chrétiens qui voulaient montrer que sur un sujet pareil on pouvait avoir un regard chrétien. Ceci dit, il ne s'agit pas de proposer une évaluation chrétienne, mais plutôt de promouvoir quelques valeurs. A commencer par l'humilité.
Ensuite, par ma pratique, je sais qu'il y a des dirigeants chrétiens qui évaluent de façon mécanique leurs collaborateurs. Et des humanistes non-chrétiens qui ont à coeur de faire de l'évaluation un véritable moment d'échange.
J'ai la conviction que l'entreprise a un besoin de retour aux sources. A mesure que le monde apparaît de plus en plus complexe, il est important de se rappeler qu'on a besoin de solidarité. L'évaluation peut être un moment d'ouverture pour voir que celui qui ne paie pas de mine a des ressources, des richesses insoupçonnées. Ce serait vraiment dommage de s'en priver.
Propos recueillis par Christophe Bys
Le site des entrepreneurs et dirigeants chrétiens
Lire le cahier sur l'évaluation du collaborateur :