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La révolution des MEMS

10/12/13


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La révolution des MEMS

Photo Benedetto Vigna / Directeur général, Groupe de produits analogiques, MEMS et capteurs, STMicroelectronics / December 9th, 2013
    technology and business

Un MEMS, fondamentalement, c’est un capteur d’informations qui transmet ces informations à un microcontrôleur, lequel en fait l’analyse. C’est un élément essentiel de ce qu’on appelle les objets intelligents, puisque c’est grâce à lui que l’on peut disposer d’informations liées à notre environnement. Une série de ruptures technologiques et de paris industriels a permis de faire exploser un marché qui ne cesse d'évoluer. Benedetto Vigna est l'une des principales figures d'une révolution qui ne fait que commencer.

ParisTech Review – Commençons par le commencement : qu’est-ce qu’un MEMS ?

Benedetto Vigna – Je pourrais vous répondre en développant les quatre lettres de l’acronyme : un MEMS, c’est un « micro-electromechanical system ». En italien ou en français, l’expression est un peu différente : on parle d’un microsystème électromécanique. Il s’agit d’un système mécanique de dimension très réduite (quelques mm2), réalisé le plus souvent sur silicium, avec au moins un élément micrométrique. Il joue un rôle de capteur ou d’actionneur. Certains MEMS réagissent à la pression atmosphérique, d’autres à l’humidité, d’autres encore à l’altitude, à la chaleur, au mouvement (accélération pour un accéléromètre, rotation pour un gyroscope, au champ magnétique pour un magnétomètre), à la lumière, au son…

En moins d’une décennie, les MEMS sont devenus des éléments fondamentaux de la plupart des produits de haute technologie qui nous entourent. On ne peut plus s’en passer. Car déjà aujourd’hui un smartphone compte jusqu’à 10 MEMS !

Moins d’une décennie ? Mais les premiers modèles ont été développés dans les années 1980.

Et même les années 1970. Mais si on a commencé à les commercialiser dans les années 1980, c’est au XXIe siècle qu’ils prennent vraiment leur essor. Cette histoire vaut d’ailleurs la peine d’être racontée.

Vous n’avez pas tort d’évoquer les années 1980, car c’est à ce moment qu’on a commencé à les utiliser dans l’industrie. Les têtes d’imprimantes à jet d’encre, par exemple, utilisent des MEMS ; les airbags qui équipent nos voitures se déclenchent grâce à un accéléromètre dont le composant central est un MEMS. Tous ces objets ont été développés dans les années 1980 et 1990, à un moment où la miniaturisation progressait rapidement.

Mais la révolution a lieu dans les années 2000, et c’est un objet plus anecdotique qui va la déclencher : une console de jeux vidéo ! Cette console, vous le devinez, c’est la fameuse Wii de Nintendo, qui a comme particularité d’utiliser un système capable de détecter la position, l’orientation et les mouvements dans l’espace. Le fabricant japonais a repéré cette idée sur un salon où STMicroelectronics, qui était à l’époque un outsider sur le marché des microsystèmes électromécaniques, présentait un capteur de mouvement. Nous avons commencé à travailler ensemble en 2005, et la console est sortie en 2006. Son succès a été foudroyant, et le travail entrepris avec Nintendo nous a permis de prendre position sur un secteur émergent, celui des smartphones. Car sans MEMS, il n’y aurait pas de smartphones. Plus précisément : vous auriez des téléphones perfectionnés, couplés à de véritables petits ordinateurs, mais vous ne pourriez pas glisser les doigts sur leur écran, et cet écran ne se remettrait pas automatiquement à l’horizontale grâce à un accéléromètre intégré. Et ce n’est pas tout : si votre smartphone est aussi confortable à utiliser pour une conversation téléphonique, c’est parce qu’il possède un, ou deux microphones MEMS pour capter votre voix ou un son en haute qualité et un ou deux autres microphones MEMS pour capter le bruit ambiant et l’annuler. Un smartphone, ce n’est pas seulement de l’informatique : ce sont aussi des capteurs, qui en font le prototype de l’objet connecté, à des réseaux bien sûr, mais aussi à son environnement.

Cette dimension sera de plus en plus centrale. Demain, les capteurs embarqués du smartphone seront utilisés pour fournir une véritable station météo portable, qui mesurera l’humidité, la pression atmosphérique, qualité de l’air, UV index,…, et combinera ces données avec d’autres, issues du réseau, pour affiner les prédictions

On est déjà loin, ici, des premiers modèles qui sont liés à la détection de mouvement ou de lumière…

Oui, et c’est ici que la comparaison avec le transistor perd sa pertinence. Car un transistor, quand bien même on ferait évoluer ses composants, c’est toujours la même structure et toujours la même fonction. Alors que les MEMS forment un monde en expansion, avec des structures qui évoluent et des fonctions qui se multiplient. Ils sont issus, au départ, de la technologie de la micro-électronique, et les fonctions de captage étaient à l’origine cantonnées à la mécanique et à l’optique. Mais ce n’est plus le cas : bien d’autres disciplines sont impliquées, désormais.

Nous pouvons citer l’informatique, car il y a de plus en plus d’informations à trier et à transmettre et que la qualité de ces informations est cruciale. Nous pouvons inclure aussi la chimie, la biologie, car l’information qui peut être captée ne sera pas seulement une onde lumineuse ou un mouvement mécanique. Ce pourra être la présence, l’absence ou le dosage d’une substance chimique, ou biochimique. La biologie et la médecine sont déjà de grandes consommatrices de MEMS, et le phénomène est appelé à s’accentuer, notamment avec le développement des formules de monitoring à distance ou de la médecine personnalisée. On parle parfois de bioMEMS pour désigner ces MEMS d’un genre nouveau.

De la même façon que les disciplines impliquées ne se limitent pas à l’électronique, les matériaux utilisés ont évolué. Ce qui reste de l’électronique, c’est l’utilisation de l’électricité. Mais si les MEMS sont le plus souvent à base de silicium, on utilise aussi des métaux, des matériaux piézoélectriques, et même des polymères. Selon les applications recherchées, on sollicitera tel ou tel matériau en fonction de ses propriétés physiques : à quoi est-il sensible, quelle est la précision de sa réaction, peut-on le solliciter souvent et longtemps, etc.

microscope plat
Un gyroscope MEMS

Comment les fabrique-t-on ?

Ah, ce sont des technologies secrètes ! Il y a des centaines de brevets qui les protègent… mais le principe en est simple. Un MEMS, c’est un substrat – généralement en silicium, mais pas seulement, comme nous l’avons vu – et une partie mobile, un minuscule mécanisme mécanique (ce peut être un résonateur, un micromoteur, etc.).

Le travail sur le substrat relève pour l’essentiel des technologies utilisées aujourd’hui en microélectronique : résinage, photolithographie attaque sèche ou humide. Les principales spécificités des technologies de production des MEMS, comparées à la microélectronique, sont liées à la réalisation des parties mobiles, ce qui s’obtient généralement par recours à ce qu’on nomme une « couche sacrificielle ». Quand le MEMS fonctionne, les éléments mécaniques sont actionnés grâce aux forces générées par des transducteurs électromécaniques, eux-mêmes alimentés par des tensions produites avec des circuits électroniques avoisinants. Ces transducteurs jouent le rôle d’une interface entre les domaines mécanique et électrique. Un capteur fonctionne exactement à l’opposé : ainsi, une accélération, une rotation créé une force qui provoque le déplacement de la partie mobile ; par mesure de la variation de distance entre la partie fixe et mobile on en déduit la valeur de l’accélération (accéléromètre) ou de la rotation (gyroscope) ; on utilise pour cela l’effet capacitif : entre deux électrodes (l’une fixe, l’autre mobile), lorsque la distance entre elles augmente, la capacité diminue, lorsque la distance diminue, la capacité augmente ; la mesure de la capacité permet de mesurer la distance donc la force mise en œuvre.

La fiabilité et la précision de cette interface sont fondamentales, et c’est en partie là-dessus que se joue la différence. Si votre smartphone déraille un peu, c’est ennuyeux, mais ce n’est pas vital. Mais les MEMS utilisés dans l’aéronautique ou la médecine doivent être d’une fiabilité absolue, car de ces tout petits mécanismes dépendent littéralement des vies humaines. C’est d’ailleurs en partie grâce à ces exigences que votre smartphone fonctionne aussi bien !

Parlons des applications, justement. Quelles sont les plus utilisées, aujourd’hui ?

Outre les accéléromètres et les différentes applications installées dans les smartphones, dont nous avons déjà parlé, on peut mentionner les micro-miroirs digitaux ou analogiques qui définissent les pixels de certains modèles de vidéoprojecteurs ; les vannes de contrôle microfluidique et les capteurs de pression ; les filtres électromécaniques, qui isolent une fréquence du signal d’entrée…

Pour vous donner une idée des quantités impliquées, début 2013 une entreprise comme ST Micro avait déjà produit trois milliards de MEMS. Et si nous sommes leaders sur le marché des MEMS destinés aux mobiles et à l’électronique grand public, il y a également d’autres grands acteurs industriels, spécialisés sur d’autres marchés. Les têtes d’imprimantes à jet d’encre représentent également un marché considérable, avec plus de trois milliards d’unités vendues.

Les capteurs, dans un smartphone vendu 600 dollars et qui en coûte 150 à fabriquer, ce sont quelques dollars. Ce n’est pas rien. Pour STMicroelectronics, les MEMS représentaient en 2005 un marché de 200 millions de dollars. Aujourd’hui, c’est un milliard de dollars.

Pour vous donner une idée du marché dans son ensemble, je citerai deux chiffres : le marché des MEMS dans les smartphones est aujourd’hui de 6 milliards de dollarsd ; et le marché des MEMS dans son ensemble devrait être de 22 milliards en 2018 .

gyroscopes
Applications des gyroscopes 

Le marché est encore neuf et les positions évoluent rapidement. Comment STMicroelectronics, qui comme vous le disiez au début de cet entretien était un outsider en 2005, a-t-il pu devenir l’un des leaders mondiaux du secteur ?

Nous avons à l’époque fait un pari industriel, en doublant la taille des « tranches » sur lesquelles sont usinés les composants : celles-ci faisaient alors 15 cm de diamètre, nous sommes passés à 20 cm sans perdre en qualité, ce qui nous a permis de massifier la production et de diminuer les coûts. Le reste est affaire de réactivité, de fiabilité, de capacité à sentir le marché et à proposer des fonctionnalités innovantes. Ce sont des qualités d’outsider, que nous avons réussi à conserver alors même que sur le marché des MEMS destinés à l’électronique grand public, nous sommes de très loin le n°1 mondial.

Il faut comprendre que ce secteur est engagé dans une dynamique d’innovation réellement exceptionnelle : toutes sortes d’applications surgissent, et des mondes s’ouvrent à nos technologies. Par exemple l’industrie automobile, qui a compté parmi les premiers utilisateurs de MEMS avec les airbags, a commencé à se tourner vers d’autres utilisations, comme par exemple les systèmes de guidage assisté pour faire un créneau. Le secteur médical et au-delà toute la nébuleuse des technologies du bien-être sont également de grands utilisateurs : tous les instruments qui vous permettront demain de prendre votre tension en marchant ou mesurer votre taux de diabète à domicile utilisent des MEMS. La demande explose, et les acteurs industriels comme STMicroelectronics consacrent 15 à 17% de leurs revenus en R&D.

Sur ce type de produits de haute technologie, il y a plusieurs écoles : certains acteurs concentrent l’innovation en leur sein, d’autres répondent aux demandes d’un écosystème d’entreprises utilisatrices, y compris des startups, d’autres enfin inventent des produits et cherchent ensuite des partenaires pour imaginer des usages – c’est le cas des GoogleGlass aujourd’hui. Comment travaillez-vous ?

Nous définissons l’innovation comme un processus métier, par lequel de nouvelles idées ou inventions parviennent progressivement à maturité et permettent d’offrir à nos clients des caractéristiques différenciantes. Pour nous l’innovation doit créer de la valeur chez ST et chez le client. Nous pouvons travailler en avance de phase pour nos clients en prenant en compte leur besoin dans nos cahiers des charges. Nous pouvons aussi, grâce à nos analyses de marché, développer les circuits qui seront fort appréciés de nos clients une fois commercialisés. Dans les deux cas de figure, la valeur d’usage est anticipée.

Parlons de demain, justement. Quel rôle joueront les MEMS, et plus prosaïquement quelles directions le marché prendra-t-il ?

L’ « Internet des objets » est déjà, et sera de plus en plus, un grand consommateur de MEMS. Les objets intelligents, au même titre que les smartphones aujourd’hui et les lunettes ou montres connectées demain, s’appuieront sur un réseau de capteurs toujours plus dense qui permettra de mesurer, de façon de plus en plus systématique et de plus en plus précises, un nombre croissant de paramètres dans un environnement donné. Paramètres internes (votre pression artérielle, le niveau d’huile de votre voiture), ou externes (le taux d’humidité, l’ensoleillement).

Cela concernera l’habitat, avec la domotique, la mobilité sous toutes ses formes, mais aussi la ville de demain. On parle beaucoup des smart cities. Elles se fondent notamment sur une surveillance affinée des flux, qui permettra de mieux les gérer – notamment dans le domaine des transports de personnes et de marchandises. Les capteurs sont essentiels pour mesurer ces flux et nourrir les systèmes informatiques centralisés qui permettront de les moduler.

Mais ils peuvent aussi, plus modestement, aider à gérer une rue : les lampadaires de la smart street, qui ne s’allument que si on en a besoin, réagiront à la voix humaine (à discriminer du bruit ambiant, des aboiements d’un chien par exemple), éventuellement à la commande (et il faudra un capteur capable de distinguer « Fiat Lux » de « Il fait frais »), ou au mouvement (en distinguant celui d’un humain de celui d’un chevreuil égaré). Les MEMS font ainsi partie du système nerveux de la smart street, et en lui apportant une information précise et discriminée ils contribuent à lui donner son intelligence. Imaginez une rue qui comprenne que vous criez, et qui alerte la police ! C’est pour demain.

En filant la métaphore, vous comprenez que, plus ces capteurs seront intelligents, plus intelligente sera la rue, la ville ou la voiture qui les utilisera. C’est pourquoi le marché évolue aujourd’hui vers des solutions intégrées, des MEMS capables d’intégrer et de digérer une information complexe, à la façon d’un ordinateur.

Autre piste d’évolution, la réalité augmentée : j’évoquais tout à l’heure la station météo portable, mais d’autres possibilités émergent et le lancement des GoogleGlass devrait donner un élan décisif à ce marché. Les MEMS jouent déjà un rôle déterminant dans la vidéo augmentée – celle qui permet à votre gamin de prendre place dans son propre jeu vidéo… Ils vous permettent déjà, si vous êtes perdu à Kuala Lumpur et que vous n’avez pas de carte, de dire à votre smartphone : « je veux aller au centre-ville » – et d’y être en quinze minutes. Aujourd’hui, la plupart de ces fonctions sont associées au smartphone ; mais en 2020 le smartphone aura changé, et ce qui le définit aujourd’hui se sera en quelque sorte dissout, sera passé dans d’autres objets. Vos vêtements, par exemple.

Même une pomme, en 2020, sera intelligente : elle sera équipée d’un ou plusieurs capteurs qui mesureront son goût ou sa maturité et alerteront, disons, votre frigo, pour lui signaler qu’elle doit être mangée. En tout cas l’information vous parviendra : l’humanisation de la technologie est l’une des tendances majeures des dernières années dans le domaine de la microélectronique. C’est précisément ce qui a fait le succès des smartphones, la simplicité associée à une extrême sophistication ; une information de plus en plus précise et de plus en plus riche, et en même temps de plus en plus simple à utiliser pour nous. Et, croyez-moi, vous n’avez encore rien vu.
 

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