Guillaume Pepy a tenu à déménager le premier, le 29 juillet. Pour montrer l'exemple et, accessoirement, sauver les plantes des terrasses arborées du quatrième étage, où aucun arrosage automatique n'avait été installé malgré la chaleur de l'été ! L'erreur réparée, le président de SNCF peut désormais s'exclamer qu'il a "le plus beau bureau du monde". Doté d'une vue imprenable sur le Sacré-Cœur, un bout de la tour Eiffel et… les voies de chemin de fer.
Salariés inquiets
Cela n'a pourtant pas été facile de convaincre les 900 cadres du siège d'abandonner la rue du Commandant-Mouchotte, à Paris, pour emménager dans les anciens bureaux de l'aciériste ArcelorMittal, à la Plaine-Saint-Denis, dans ce "9-3" à la réputation sulfureuse. Comme leurs collègues d'Orange ou de Veolia avant eux, les salariés de la maison cheminote appréhendaient l'allongement de leur temps de parcours – de plus de quarante minutes pour ceux habitant au sud de Paris –, mais aussi les rumeurs de vols de mobiles et autres incivilités qui circulent à propos du quartier. La direction de SNCF a démenti l'idée de créer une passerelle reliant directement les voies de la gare du RER D (Stade de France/Saint-Denis) à l'immeuble pour rassurer les troupes. En revanche, des minibus gérés par la filiale Keolis font la navette entre le siège et la station de RER B, située à une quinzaine de minutes à pied.
"L'insécurité qui régnerait en Seine-Saint-Denis a été exagérée par les médias, même si cela reste une de nos préoccupations, estime Cyril Capdevielle, responsable des services centraux à la CFDT-cheminots. C'est surtout la saturation des RER qui pose problème. En décembre, on passera de huit à douze trains par heure sur la ligne B, mais cela ne réglera pas tout."
Malgré la grogne, le choix de Saint-Denis a du sens pour la compagnie ferroviaire, qui veut réduire son train de vie et dégager 700 millions d'économies d'ici à 2015. A terme, il s'agit de rassembler près de 8000 personnes dans le quartier, où deux bâtiments supplémentaires sont en construction. Ce qui permettra de diminuer ses loyers d'environ 12 millions d'euros par an.
Déco inspirée de Google
L'aménagement des 28 000 mètres carrés du siège, sur six étages, a également été conçu pour apporter plus de fluidité entre les divisions de la direction, auparavant cloisonnées : secrétariat général, ressources humaines (RH), directions stratégique, financière et communication. Plus vastes et plus lumineux, certains étages ont été transformés en plateau, à la manière des sociétés américaines. "On voulait du collaboratif et de la convivialité", explique Guillaume Pepy, qui "adore" le choix de tables hautes façon comptoir de bar disposées dans les étages. Cela permet "de faire des mini réunions rapides de manière informelle mais efficace". Comme souvent, le passage à l'open space suscite des réticences. Ainsi, à la direction des RH, chacun a encore son petit bureau fermé. "Les grands plateaux, c'est à la mode, mais c'est parfois aussi l'enfer pour travailler tranquillement", glisse un cadre.
Très inspirées par Google, dont SNCF rêve d'être l'égale dans les transports, les équipes chargées de l'identité de la marque ont choisi, avec les architectes d'Arep, filiale du groupe ferroviaire, les nouveaux codes couleurs : rouge, bleu, vert et jaune. Histoire de rompre avec la grisaille du siège parisien. Pour la convivialité, des "tisaneries", sorte de coins de repos cosy, ont été joliment arrangés avec un mobilier clair et moderne à tous les étages, où le café ainsi que les boissons fraîches sont désormais gratuits.
Equipements dernier cri
Il fallait aussi se montrer à la pointe des nouvelles technologies. Des écrans montrent les disponibilités à l'entrée de chaque salle de réunion, tandis qu'à l'accueil un large panneau numérique affiche les horaires des RER et l'état du trafic. Mais le plus spectaculaire, c'est la "salle de crise", située à l'étage de la communication, dotée du matériel informatique et audiovisuel dernier cri. Elle permet de mobiliser en "moins de cinq minutes" les équipes du comité exécutif en cas de gros retard du trafic ou d'accident. Nerf de la guerre pour la SNCF, la direction de la communication est désormais rassemblée sur un même plateau, avec les équipes chargées des médias traditionnels et celles scrutant les réseaux sociaux. Ce qui permet, selon son directeur, Patrick Ropert, "de se montrer beaucoup plus réactif".
Plus de convivialité, plus de réactivité et, bientôt, plus de "flexibilité". Car en s'installant en Seine-Saint-Denis, sur les lignes saturées des RER, Guillaume Pepy devra appliquer à lui-même ce qu'il recommande aux autres entreprises : faire venir les salariés en horaires décalés le matin et le soir, afin d'alléger les heures de pointe dans les transports publics. Les négociations avec les syndicats sont en cours. Elles risquent d'être agitées.