Serez-vous un jour «moocable»? Dérivé de l’anglicisme «bankable» pour les actrices de Hollywood, ce néologisme faisait le buzz lors de la première conférence sur les Massive Open Online Courses (MOOCs) organisée en juin dernier à l’EPFL.
Les MOOCs, ce sont ces fameux cours ouverts, massifs et en ligne qui sont en train de faire trembler le dernier bastion de contenu qui résistait encore à internet: les universités. Derrière, des start-up apparaissent pour reproduire ce modèle dans la formation continue.
Fin 2011, le premier de ces cours accessibles à tous (une introduction à l’intelligence artificielle par le professeur de Stanford Peter Norvig) a rassemblé 165 000 étudiants en ligne du monde entier. Au final, les 250 premiers à avoir reçu les meilleures notes à l’examen n’étaient pas de Stanford. Depuis, le monde de l’enseignement supérieur a engagé une course contre la montre pour déployer les meilleurs cours en ligne et prendre le marché.
Le prof à 450 000 dollars
Cependant, dans un tel univers concurrentiel, les qualités pédagogiques de chaque professeur apparaissent sans fard, que ce soit au travers des vidéos ou des outils d’apprentissage qu’ils emploient. Le cours d’introduction à l’informatique de la plate-forme Udacity doit largement son succès aux interventions d’un professeur star, Sergey Brin, cofondateur de Google qui a aussi investi dans le site.
C’est qu’être «moocable» a des conséquences financières. Les dix professeurs les plus populaires de la plate-forme Udemy, qui enseignent pour des prix oscillant entre 30 et 500 dollars des matières comme la programmation SAP ou le marketing digital à plus d’un million d’étudiants, avaient gagné collectivement 5 millions de dollars en juin dernier selon le site.
Victor Bastos, un informaticien espagnol qui végétait à Lisbonne, a par exemple vu ses revenus atteindre 452 000 dollars via Udemy entre novembre 2011 et juin dernier.
Avec sa MOOCs Factory, Pierre Dillenbourg a actuellement vingt cours en ligne en production. Devant un café à la gare de Nyon, le responsable du nouveau Centre d’éducation numérique de l’EPFL (CEDE) explique que «les entreprises découvrent à leur tour le potentiel de ces cours en ligne pour leurs propres besoins de formation». Il passe beaucoup de temps à répondre à leurs demandes.
Toutefois, comme il le précise, «l’EPFL peut donner des conseils mais n’a pas vocation à produire ces cours pour les entreprises». Reste que comme le campus lausannois a pris le leadership en Europe dans ce domaine (lire Bilan du 5 septembre 2012), une start-up vient de se former au Parc scientifique pour se positionner sur ce marché estimé à 150 milliards de dollars dans le monde pour la formation continue.
A la tête de cette entreprise baptisée CoorpAcademy, on trouve Jean-Marc Tassetto. Ex-directeur de Google France après l’avoir été pendant treize ans de l’opérateur SFR, ce Parisien entend marier l’expérience et les recherches de l’EPFL avec la plate-forme de développement open course de Google. Le but: vendre en marque blanche les outils de scores, d’interfaces smartphone, de liens vers les réseaux sociaux, etc., qui permettront aux entreprises de créer leurs propres MOOCs.
«Leurs besoins sont énormes, affirme-t-il. Les MOOCs permettent d’adresser leurs cours de formation au moins en partie pour des coûts de six à huit fois moins importants.»
Yahoo! et AT&T s'y sont mises
Le magazine Forbes expliquait récemment comment l’éditeur de logiciels de sécurité McAfee a remplacé sa formation de quatre-vingts heures pour ses nouveaux engagés par un tel cours. Yahoo! soutient de son côté ses employés qui obtiennent un certificat sur la plate-forme Coursera tandis qu’AT&T a passé un contrat avec Udacity.
Actuellement en discussion avec des géants de l’alimentaire, des cosmétiques, des télécoms et de la finance, Jean-Marc Tassetto a aussi découvert que leurs besoins de formation ne s’arrêtent pas à l’interne.
«Beaucoup d’entreprises ressentent le besoin de former les vendeurs employés par leurs distributeurs et même leurs clients finaux. Dans les biens d’équipement, par exemple, elles introduisent toujours plus de fonctionnalités afin de garder leur valeur ajoutée vis-à-vis des concurrents low-cost. Or les clients n’utilisent en général que 5 à 10% de ces fonctionnalités. Du coup, la différence de prix leur paraît incompréhensible. On ne peut pas la communiquer via une pub. D’où la nécessité de former les vendeurs, et au-delà les clients.»
«La définition du public cible est très importante, reprend Pierre Dillenbourg. Cela fait vingt ans qu’on fait du eLearning. Mais avec les MOOCs, la notion de massification est cruciale. Quand vous constatez qu’en quatre mois l’EPFL a pu rassembler 150 000 étudiants pour ses premiers MOOCs, vous comprenez qu’il se passe quelque chose. Reste qu’adapter ce modèle aux entreprises ne va pas de soi.»
Managers en danger?
De fait, les MOOCs sont le fruit de la convergence des plates-formes de diffusion vidéo comme YouTube, de l’élargissement de la bande passante, des réseaux sociaux, mais aussi d’innovations dans le domaine technique comme le développement d’un correcteur automatique des copies par le CEDE de l’EPFL mais aussi pédagogiques.
La Khan Academy mise ainsi sur le Learning by doing en ne faisant appel aux explications théoriques ou à la communauté des étudiants que quand l’élève butte sur une difficulté pour résoudre un exercice.
«Il ne faut pas oublier que les MOOCs sont difficiles, reprend Pierre Dillenbourg. Nos étudiants y consacrent six à sept heures par semaine. Ce n’est pas un temps dont disposent les managers ou les employés d’une entreprise, et là encore il faut adapter.» S’ajoute à cela que même interactifs les MOOCs ne remplacent pas la nécessité de rencontres physiques.
«Prenez le séminaire annuel des cadres d’une grande entreprise. D’habitude, ils se réunissent dans un endroit sympa, écoutent quelques intervenants experts, mais surtout interagissent. On ne va pas leur enlever ces interactions qui sont très importantes pour constituer les réseaux de l’entreprise. Simplement, préalablement, on pourra développer des MOOCs dont l’examen sera peut-être qualifiant pour ce séminaire. Et là, les connaissances théoriques étant assimilées, les experts se serviront de ces connaissances conceptuelles pour les appliquer aux cas concrets dans l’entreprise. A la fin, ce qui compte c’est l’efficacité.»
Starification des professeurs
Reste qu’il n’y a pas de raison pour que le phénomène de starification des professeurs «moocables» ne se reproduise pas dans les entreprises. C’est déjà le cas des experts, qui enseignent des aptitudes professionnelles sur des plates-formes comme Udemy ou la russe Eduson.
Les managers et autres cadres qui seront amenés à enseigner sur les MOOCs des entreprises verront de la même manière leur capacité à communiquer pleinement exposée. Le hic, c’est que cette starification en germe ne sera pas forcément toujours cohérente avec la hiérarchie de l’entreprise et pourrait bien parfois retarder l’adoption des corporate MOOCs.