FINANCES - Et si on jouait à se faire peur? Imaginons ce que serait la France, confrontée à une paralysie de ses services publics. La situation, qui se produit depuis ce matin aux Etats-Unis, est appelée "shutdown", littéralement mise à l'arrêt. Bien sûr, les mécanismes d'adoption du budget ne sont pas les mêmes dans l'Hexagone et une telle situation ne pourrait pas se produire.

Un tel exercice de fiction permet néanmoins de comparer l'organisation des deux modèles d'administration, qui ne sont au final pas très éloignés. En effet, des deux côtés de l'Atlantique, on compte une fonction publique centrale avec, dans les deux cas, deux millions de fonctionnaires. C'est cette partie là, qui est touchée par le shutdown aux Etats-Unis. Conséquence, 800.000 personnes dont le travail est jugé "non essentiel" ont interdiction de se rendre au travail. Mais les deux-tiers qui restent continuent de travailler, qu'ils s'agissent des policiers, des magistrats ou des aiguilleurs du ciel.

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Par ailleurs, l'immense majorité des fonctionnaires sont employés par les 50 états fédérés. Ces quelques 12 millions d'agents territoriaux vont aller au travail normalement. La situation serait-elle identique en France? La question est posée dans la mesure où le budget des collectivités territoriales qui emploient 1,8 million d'agents provient en grande partie de dotations publiques. Une paralysie des finances publiques pourrait donc, en théorie, entraîner un blocage des institutions locales et la fermeture des mairies, l'arrêt de l'entretien des espaces verts ou de la voirie. Pour le reste, voici un tour d'horizon des points communs et différences.

Les administrations au ralenti

Aux Etats-Unis comme en France, ce sont les administrations centrales qui sont le plus touchées par cette paralysie du budget. Exemple avec le fisc américain. Sur les 95.000 agents de l’Internal Revenue Service, moins de 9000 sont autorisés à se rendre au travail. Et s'ils décidaient de travailler depuis chez eux, ils risqueraient une sanction disciplinaire. L'administration la plus touchée est l'écologie avec moins de 7% au travail à l'agence de protection de l’environnement.

"De manière générale toutes les autorisations, tous les permis y compris ceux sur les armes à feu sont retardés", explique Nicole Bacharan. La situation serait la même en France où les services des impôts pourraient être fermés, comme les centres de sécurité sociale, les préfectures entraînant un retard dans les traitements de ces documents.

Education: classe ou pas classe?

La principale différence entre les Etats-Unis et la France est à chercher du côté de l'école. En France, les instituteurs et professeurs relèvent de la fonction publique d'Etat. Ce n'est pas le cas outre-Atlantique, où il n'y a pas de fonctionnaires fédéraux. "Le système est géré par les districts scolaires. C'est un peu comme si, chez nous, les académies étaient autonomes", explique Nicole Bacharan, politologue spécialiste des Etats-Unis.

Concrètement, ce mardi matin, les petits Américains auront classe normalement. On peut en revanche imaginer qu'en France, les établissements soient ouverts (ils sont gérés par les collectivités locales) mais que les professeurs (payés par l'Education nationale) ne se retrouvent pas devant leur tableau, à l'image de ce qui se passe avec le service minimum d'accueil en cas de grève.

Les postiers américains travaillent, les Français aussi

Agence indépendant, la Poste américaine n'est pas affectée par le "shutdown" dans la mesure où elle assure le financement de ses activités courantes par les achats de timbres et autres taxes sur le courrier. En revanche, le paiement des salaires sera retardé le temps que durera la paralysie. Une situation identique pourrait se produire en France, la Poste étant depuis quelques années, une société anonyme qui bénéficie de son propre budget. Il en va de même pour EDF et de la SNCF qui a néanmoins un statut un peu différent.

Santé: en France comme aux Etats-Unis, les urgences assurées

Au delà des systèmes d'assurance-maladie qui diffèrent énormément entre les Etats-Unis et la France, l'organisation des hôpitaux se ressemble avec des établissements publics et d'autres privés. "Malgré le shutdown, les gens seront soignés, les opérations continueront d'avoir lieu quand il y a des urgences. Ce qui peut attendre, en revanche, sera reporté", précise Nicole Bacharan. Dans l'Hexagone, l'organisation pourrait ressembler à ce qui existe en cas de grève, à savoir un maintien des urgences et une réquisition du personnel pour assurer le minimum de soin indispensable.

Reste la question du remboursement des soins. Une paralysie de notre administration pourrait entraîner un retard. Cependant, aux Etats-Unis, le versement des retraites a été sanctuarisé; on peut penser que les aides sociales seraient également préservées dans notre pays.

La Statue de la Liberté fermée mais pas la Tour Eiffel

La conséquence la plus visible du shutdown américain est la fermeture de tous les parcs nationaux. "Mais il n'y a pas que le Grand Canyon ou le parc du Yosemite. C'est aussi le cas de nombreux musées dans les grandes villes. A New York, les monuments nationaux comme la Statue de la Liberté ou le Met sont également fermés", explique Nicole Bacharan, politologue spécialiste des Etats-Unis.

En France aussi, la grande majorité des établissements culturels sont gérés par le ministère de la Culture et seraient ermés en cas de paralysie. Impossible donc de visiter le Louvre, le musée Chagall de Nice ou encore le château de Chambord. En revanche, la Tour Eiffel resterait ouverte car elle est gérée par une société d'économie mixte dont l'actionnaire majoritaire est la ville de Paris.

Un écran noir sur France Télé

Par ailleurs, on peut imaginer qu'un "shutdown" à la française entraîne la coupure de France Télévision. En effet, la redevance télé qui représente la majeure partie des ressources de l'audiovisuel public est votée dans le budget national. Un blocage de son adoption pourrait donc créer un écran noir sur les chaînes du service public. Rien de tout cela ne s'est produit aux Etats-Unis où ce secteur public n'existe pas. "Il y a bien la PBS, Public Broadcasting System, mais c'est public au sens où ce sont les téléspectateurs qui payent mais il n'y a aucun argent public", explique Nicole Bacharan.

Nicole Bacharan est l'auteure avec Dominique Simonet de Le 11 septembre : le jour du chaos, qui vient d'être réédité aux éditions Pocket.