
Pour Jacques Attali, auteur d’ « Urgences françaises », il n’est pas trop tard : la France peut rapidement sortir du marasme économique, à condition d’avoir le courage d’engager sans délai les grandes réformes nécessaires. Entretien.
Capital : Vous affirmez dans votre dernier ouvrage que notre pays «s’enfonce». Il est donc exclu que, d’ici une décennie, la France retrouve le chemin de la croissance ?
Jacques Attali : Non. Il reste possible que la France soit dans dix ans sur une tout autre route que celle qu’elle suit aujourd’hui. Mais pour que l’emploi et la croissance repartent, il est indispensable que deux conditions soient remplies. D’abord, il faudra que l’Europe surmonte la nouvelle étape de la crise que nous vivons actuellement : car elle risque d’entraîner une situation de blocage, une nouvelle explosion. Ensuite, notre pays ne pourra pas sortir du marasme économique et retrouver la confiance sans une mobilisation nationale qui permettra de réaliser les grandes réformes que les lâchetés, les paresses et les erreurs des trente dernières années nous ont sans cesse conduits à repousser.
Capital : Commençons par l’Europe. Selon vous, le plus dur est devant nous…
Jacques Attali : Partout sur le continent, sauf en Allemagne, les budgets ne tiennent pas – ce qui entraîne une augmentation du ratio dette/PIB – la croissance ne revient pas et le nombre de chômeurs continue à progresser. Dans la seule zone euro, 19,3 millions de personnes sont privées d’emploi et un jeune sur quatre est au chômage. Autant de signes d’échec, qui s’accompagnent de fortes incertitudes sur la solidité du système bancaire. Le jour où une alerte se produira dans le secteur financier, les taux d’intérêt remonteront et l’Europe affrontera de nouveau une crise aiguë. Je suis convaincu que cette épreuve surviendra d’ici à 2015. Il faudra alors choisir entre le chaos et la mise en place d’une gouvernance forte reposant sur de nouvelles institutions : celles que les politiques auraient dû avoir le courage de créer après le sauvetage de la monnaie unique par la Banque centrale européenne.
Capital : En avançant sur la voie du fédéralisme ?
Jacques Attali : Oui, car la gouvernance actuelle de l’Europe reste erratique, avec une Commission bureaucratiquement toute-puissante, mais sans réel pouvoir, un Parlement européen impuissant et une zone euro faible et désunie. Les structures restent à préciser, mais on peut envisager un vote à la majorité qualifiée en Conseil des ministres sur tous les sujets et la mise en place progressive d’un budget fédéral européen. Et, dans la zone euro, une mise en place de l’union bancaire – qui aura un vrai pouvoir fédéral de contrôle sur les banques – la création d’un Parlement qui nommera le président de l’Eurogroupe, véritable ministre des Finances de la zone euro, et le financement d’investissements durables par des eurobonds. Le dialogue franco-allemand a permis d’esquisser en partie un tel projet. La réaction salutaire lors de la prochaine tempête consistera à le mettre en œuvre, afin de stabiliser le système. Sans ce sursaut, l’Europe restera la victime collatérale de la crise de l’endettement déclenchée en 2007 aux Etats-Unis. Et la concurrence accrue due à la mondialisation provoquera une érosion – voire un effondrement – de son niveau de vie.
Capital : Néanmoins, les partis qui s’opposent à l’Europe voient leur influence s’accroître…
Jacques Attali : Le danger représenté par ceux qui s’imaginent encore que le protectionnisme peut enrayer la mondialisation et qui s’opposent à l’idée de renforcer l’Europe pour peser dans la nouvelle donne économique s’accroît du fait de l’incapacité à agir des gouvernements. Un sursaut qui verrait les Européens intervenir de concert pour éviter la catastrophe et avancer enfin ensemble réduirait probablement l’influence de ceux que la compétition dérange, et qui installent notre continent dans un déni de réalité.
Capital :Passons aux réformes que doit engager la France. Il n’est pas trop tard, dites-vous ?
Jacques Attali : Non. Rien n’est encore perdu. D’abord, nous avons les exemples de pays qui, confrontés aux mêmes périls, ont su trouver les moyens de réagir, grâce à des dirigeants courageux menant un ensemble de réformes le plus souvent impopulaires. L’Allemand Gerhard Schröder, le Suédois Carl Bildt, le Canadien Jean Chrétien, le Polonais Donald Tusk ont ainsi sauvé leur peuple d’un déclin qu’on aurait pu croire inéluctable. Plus récemment, l’Italien Mario Monti a aussi lancé des réformes considérables. Ensuite, notre pays dispose toujours d’atouts qui lui offrent potentiellement les moyens de figurer sur le podium mondial. Une place géostratégique au cœur de l’Europe, la deuxième zone maritime exclusive de la planète, des institutions solides, une armée crédible, une dynamique démographique qui conduira la France à être aussi peuplée que l’Allemagne vers 2050, des infrastructures de très haut niveau, des coûts d’énergie faibles, une agriculture performante, des entreprises leaders dans l’industrie et les services, et une qualité de vie exceptionnelle. Avec toutes ces cartes en main, nous ne devrions pas avoir peur de l’avenir.
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