ENTRETIEN Même si elle reste à la troisième place en Europe, l'étude annuelle d'Erns&Young sur l'attractivité de la France montre un net recul du nombre d'investissements étrangers dans notre pays en 2012. Et au contrraire une dynamique toujours forte de l'Allemagne et du Royaume-Uni. De quoi attiser le débat sur la compétitivité du site France. Constats et explications avec l'interview de Marc Lhermitte, associé chez Ernst&Young et coordonnateur de l'étude.
L'Usine Nouvelle - Quel est le constat de votre étude annuelle sur les investissements étrangers en France et Europe en 2012 publiée ce 5 juin ?
Marc Lhermitte - Trois pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France se détachent toujours nettement, puisqu'ils représentent cumulés un investissement sur deux loin, devant l’Europe de l’Est ou du Sud où certains pays sont totalement hors du jeu comme l’Italie qui n’a attiré que 60 projets l’an dernier.
Même si à l’échelle du continent elle reste encore bien placée, au troisième rang, la France semble durablement dépassée par l’Allemagne. Elle a néanmoins attiré, l’an dernier, plus de projets d’investissements étrangers dans des activités de production que tout autre pays… même si l’Allemagne la rattrape au fil des ans.
Votre étude s’intitule cette année "France : Dernier appel", la situation est grave ?
Elle est en tout cas préoccupante. La France décroche nettement par rapport au duo de tête.
En fait, il y a une inquiétude réelle de la part des investisseurs internationaux sur l’avenir de notre pays jugé moins ouvert et moins enclin aux réformes que ses grands concurrents. C’est comme si ces investisseurs se disaient : à quoi me sert vraiment une implantation en France ?
C’était déjà vrai il y a quelques années. Ce jugement tend à persister. Le mauvais résultat obtenu auprès des investisseurs venus des BRIC ou le recul des projets liés à la R&D sont aussi des alertes fortes. Concernant la R&D, cela s’explique aussi par la mise en place de dispositifs de type CIR (Crédit impôt recherche) presque partout en Europe qui diminue l'attractivité relative de notre CIR.
Que pensent-ils de notre pays ?
Ils jugent sévèrement la situation. Plus largement, en cette période précise où les équilibres économiques du monde et de l’Europe basculent, le sens que prend la France dans la mondialisation n’est pas compris. Et, je vous rappelle l’enjeu : les investissements directs étrangers (IDE) représentent une masse de 1300 milliard de dollars qui s’investit chaque année dans le monde.
Et de l’Europe ?
Cette année, notre étude confirme que l’Europe dans son ensemble reste une zone attractive malgré toutes les difficultés de la zone Euro. A l’échelle mondiale, elle attire encore un quart des investissements directs étrangers, c’est la première place ! Le nombre de projets que nous avons recensé en Europe en 2012 a à peine baissé: 3797 au total, soit -2,8%.
De quels atouts dispose la France selon les investisseurs ?
A peu près à jeu égal, la capacité d’innovation, l’esprit d‘entreprise et la spécialisation sectorielle (un item néanmoins en fort recul) et dans une moindre mesure l’ouverture à l'international.
Contrairement au discours ambiant, le bon niveau des infrastructures, des compétences humaines ou de la qualité de vie ne font plus de différence pour les investisseurs. Cela est considéré comme un acquis pour tous les grands pays, donc non discriminant.
Ce qui compte beaucoup, c’est la possibilité de développer ses affaires, de croître, d’innover, de s’inscrire dans les grandes évolutions technologiques, le tout à l’échelle continentale. De ce point de vue, la France reste donc dans le trio de tête mais le Royaume-Uni et l’Allemagne sont jugés bien mieux connectés sur l’économie-monde.
Et nos grands groupes ?
La présence des entreprises du CAC 40 est un véritable facteur discriminant et positif pour l’attractivité de la France. J’ajouterais aussi les grands plans stratégiques qui donnent une perspective comme le Grand Paris, les Plans Campus ou les Pôles de compétitivité. Tout ceci ajouté à nos compétences sectorielles à savoir, dans l’ordre : énergie, services aux entreprises, TIC, écotechnologies, pharmacie, transport…
Quels sont nos handicaps principaux selon les investisseurs que vous interrogez?
Dans l’ordre toujours : le coût du travail, la fiscalité et l’environnement administratif et juridique. Celui-ci est jugé complexe et surtout très peu stable, ce qui est un véritable souci pour les investisseurs qui s’inscrivent souvent dans la durée. Encore une fois ce constat n’est pas nouveau.
Un facteur d’espoir ?
Un chiffre : 59% des entreprises étrangères implantées en France que nous avons interrogées pensent que notre pays parviendra à surmonter la crise actuelle. Et plus étonnant, cette perception est même de 75% pour les entreprises non présentes en France. Notre image est donc loin d’être totalement dégradée.
Propos recueillis par Pierre-Olivier Rouaud