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"Chaque jour, la France perd un bout de son tissu économique"

19/5/13

Le Point


Au moment d'arrêter les comptes 2012 des entreprises, le cabinet Bellot-Mullenbach & Associés tire la sonnette d'alarme sur l'état des PME françaises.

Photo d'illustration.
Photo d'illustration. © ALAIN JOCARD / AFP PHOTO PHOTO
Propos recueillis par 
 
       
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Jean-Louis Mullenbach, associé au cabinet d'audit comptable et financier Bellot-Mullenbach & Associés, dresse un portrait apocalyptique de l'état de santé des PME françaises.

Le Point.fr : Vous tirez la sonnette d'alarme sur la situation des PME.

Jean-Louis Mullenbach : Chez BM&A, nous connaissons aussi bien les grandes entreprises, puisque nous avons des lignes de services tournées vers ces groupes et vers les ETI [entreprises de taille intermédiaire, NDLR], que les PME de moins de 250 salariés, traditionnellement accompagnées par les experts-comptables. Ce qui nous frappe, au terme de l'arrêté de comptes 2012, c'est que peu a été fait pour les PME, les plus atteintes par la crise. La politique procyclique d'augmentation à marche forcée des prélèvements, menée aussi bien sous Nicolas Sarkozy la dernière année de son mandat que sous François Hollande, revient en effet à transférer la dette de l'État sur des agents privés. Or les entreprises ne subissent pas les mêmes taux d'intérêt que l'État. Quand la puissance publique emprunte à 1,8 %, les PME n'arrivent pas à trouver un financement à un taux inférieur à 4 %. Avec une inflation proche de 1 %, cela représente un taux d'intérêt réel exorbitant ! Autrement dit, les taux bas et les injections de liquidités de la BCE profitent aux banques, à l'État et aux grands groupes, mais peu aux PME. Et contrairement aux grandes entreprises ou même aux ETI, qui peuvent faire appel au marché via des obligations ou des placements privés, les PME ne bénéficient pas de ces alternatives au crédit bancaire. Autre handicap, le montant global du crédit inter-entreprises est incroyablement élevé en France par rapport à celui des crédits bancaires aux PME. De surcroît, la mobilisation du poste clients est coûteuse en France où seuls les établissements bancaires peuvent faire du rachat de créance commerciale de PME. Pour couronner le tout, la loi de modernisation de l'économie (LME) sur les délais de paiement, excellente dans son principe, n'est pas respectée : 35 % des PME ne sont pas réglées par leurs clients dans les délais prescrits, sans évoquer l'État et les collectivités territoriales, de moins en moins en mesure de respecter ces délais.

Pourquoi s'alarmer particulièrement maintenant ? Cela fait longtemps que la crise frappe...

Le problème, c'est que ce n'est plus un trou d'air conjoncturel, c'est un environnement économique et financier désincitatif à la prise de risque et qui devient structurellement défavorable aux PME. Les petites entreprises opèrent en France, profitent peu de la croissance mondiale, ne peuvent pas mutualiser leurs coûts ni faire de l'optimisation monétaire, fiscale ou sociale. Leurs marges ne cessent de se réduire sous l'effet de salaires et de charges qui croissent de façon soutenue. En 2011 et 2012, il y a eu une profusion d'augmentation ou de création de petites taxes réglementaires, comme les taxes pour les frais de chambres consulaires (chambres de commerce et d'industrie ou agricoles), les taxes sur les transports, les taxes sur les enseignes publicitaires, les taxes surfaces commerciales, qui finissent par faire masse (augmentation d'environ 6 % par rapport à 2011). En 2011 déjà, nous avions un taux de marge historiquement bas depuis 1985 et de près de 10 points en dessous de la moyenne du taux de marge des PME de la zone euro. Les patrons des PME ont une certaine souplesse - ils n'hésitent pas à réduire leurs salaires et leurs dividendes -, mais ils en viennent à ne plus investir pour préserver leur trésorerie, alors qu'ils auraient envie de le faire pour améliorer la qualité de leurs produits et leur service après-vente. L'appareil productif de la France, représenté pour l'essentiel par ces entreprises de moins de 250 personnes, soit plus de la moitié de l'emploi salarié du pays, vieillit inexorablement. Depuis 4 ans, on compte chaque année 60 000 défaillances d'entreprises, contre 40 000 habituellement. Et une recrudescence de défaillances est observée depuis deux mois, notamment dans les PME les plus importantes, y compris les ETI. Chaque jour, la France perd un bout de son tissu économique sans que l'opinion s'en émeuve. Des savoir-faire et des compétences spécifiques disparaissent, parfois de façon irréversible. Il y a vraiment urgence à agir. 

Les PME industrielles se plaignent souvent d'être pressurisées par les grands groupes...

En France, ces dernières sont souvent mises en coupe réglée par leurs donneurs d'ordre qui taillent dans leurs investissements et leurs achats, et n'hésitent plus à s'approvisionner sur les marchés extérieurs, voire à délocaliser une partie de leur production. En Allemagne, les grandes entreprises ont développé des partenariats permanents avec leurs fournisseurs. En France, les sous-traitants français d'EADS sont en phase avec leurs donneurs d'ordre, notamment parce que, dans l'aéronautique, nous avons un syndicat professionnel qui intègre les avionneurs et leurs sous-traitants. Dans l'automobile, au contraire, il y a un syndicat professionnel pour les constructeurs et un autre pour les équipementiers. Dans d'autres pays, en Allemagne ou en Italie surtout, les PME se regroupent dans leurs régions pour aller à l'international. Le millefeuille territorial français devrait être réorganisé en priorité autour de la quête d'attractivité et de compétitivité des régions d'une part, et de l'aide à l'export et à l'implantation à l'international d'autre part.

Le gouvernement prend toutefois des mesures en faveur des PME, notamment la Banque publique d'investissement (BPI), ou le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE)...

À part Oseo, très utile en termes de trésorerie, la BPI n'est pas calibrée pour les petites entreprises et s'intéresse peu aux PME (1,7 milliard d'euros d'objectif de financement annoncé), mais surtout aux entreprises plus importantes (7 milliards d'objectif). Quant au CICE, qui est une bonne mesure, nous avions proposé qu'il aille en priorité aux PME ou tout au moins qu'il y ait un régime différencié entre grandes entreprises et PME. Nous n'avons pas été écoutés et le préfinancement de ce crédit d'impôt, qui constitue certes un bol d'oxygène pour la trésorerie des PME, est coûteux. Des effets pervers commencent à apparaître. La grande distribution demande à ses fournisseurs d'augmenter ses "marges arrière" (ristournes) à due concurrence. Par ailleurs, l'intégration de ce crédit d'impôt dans l'indice du coût du travail de l'Insee aura pour effet de baisser les prix des contrats indexés sur cet indice, et donc le chiffre d'affaires des PME concernées.

Pourquoi à votre avis, les PME sont-elles si peu entendues ?

Parce que, dans la tête de beaucoup, les PME n'ont pas d'avenir et ne sont pas sexy. On est dans un monde où les petits ont du mal à se faire entendre dans le concert des lobbys. Selon que vous serez puissant ou misérable... Et quand on prend finalement des mesures en faveur des PME, elles sont souvent à contre-emploi où à contresens. On veut par exemple les autoriser à ne plus publier leurs comptes, alors que cela ne leur coûte rien puisqu'elles doivent de toute manière déposer leur liasse fiscale.

Pourquoi cette demande a-t-elle été portée par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME) alors ?

Je crains qu'il ne s'agisse là d'une vision passéiste selon laquelle il faudrait vivre dans le secret, notamment en ne publiant plus ses comptes. Quand un banquier ou un tiers voit une entreprise qui ne dépose pas ses comptes, pensez-vous que cela lui donne confiance ? Il faut au contraire jouer la carte de la transparence, de l'ouverture et de la prévention.

Par ailleurs, fallait-il accepter de signer ce qui est devenu la loi de sécurisation de l'emploi alors qu'elle ne rapporte quasiment rien aux PME en termes de flexibilité, contrairement aux grands groupes. La complémentaire santé, pour les près de 4,5 millions de salariés qui n'en ont pas, concerne quasi exclusivement les PME. Elle va rentrer en vigueur dès 2015 alors que les mesures de flexibilité seront pour plus tard : cela va les plomber encore d'avantage.

François Hollande n'a-t-il pas épargné les PME en concentrant les hausses d'impôts de 2013 sur les grandes entreprises ?

C'est vrai sur le papier. Mais cela ne se vérifie pas dans les faits, avec l'optimisation fiscale des grands groupes (via, notamment, les prix de transfert) et une meilleure capacité de leur part à profiter des exonérations fiscales et à défendre leurs positions lors des contrôles fiscaux. Dans la pratique, rapportée à la valeur ajoutée, la charge effective d'IS n'est pas très différente.

Selon le directeur général de la Banque publique d'investissement, Nicolas Dufourcq, les PME ne manquent pourtant pas de financement. Le problème, c'est la demande.

Certes, mais il y a quand même des PME dynamiques qui souhaitent investir et recruter et qui ont du mal à trouver des crédits à moyen terme pour financer leur développement. Les contraintes prudentielles pesant sur les banques en matière de solvabilité et de liquidité les rendent réticentes à prêter aux PME, qui manquent de fonds propres et qui ne bénéficient d'aucun système de notation. D'où d'ailleurs l'intérêt de créer une agence de notation des PME et de recourir à des fonds d'investissement pour renforcer les fonds propres et financer des projets à l'export et à l'international. Cela dit, la plupart des chefs d'entreprise préfèrent effectivement différer leurs investissements.

Est-ce que tout cela n'est pas logique en période de crise, quand les carnets de commandes sont vides et que la croissance est à zéro ? Cela ne repartira-t-il pas spontanément au moment de la reprise ?

On n'est pas dans un trou d'air, mais dans une crise de mutation profonde. Les grands groupes s'y adaptent en délocalisant tout ou partie de leur production et en investissant sur les marchés porteurs. Sur le territoire français, l'ajustement par la réduction des coûts est clairement enclenché et va durer avec la baisse du pouvoir d'achat, de la consommation, et des exportations. Les entreprises françaises perdent des parts de marché à l'intérieur et à l'international. À supposer que la demande reparte, l'investissement ne suivra qu'avec un décalage important en raison de la faible utilisation des capacités de production et de la disparition définitive de certains métiers artisanaux et industriels. Le délitement de l'appareil productif risque donc de se poursuivre et de nuire à la compétitivité du site France.

S'il ne fallait prendre qu'une seule mesure en faveur des PME, laquelle serait-ce ?

Un choc de confiance s'impose si l'on veut que le pays croie à son avenir. Les PME/ETI et leurs salariés doivent être mis au coeur du projet de reconstruction économique du site France pour que celui-ci retrouve son potentiel de croissance. Il est vital de ne pas désespérer les forces productives, d'avoir une politique d'incitation au travail et d'afficher un cap pro PME, et de s'y tenir dans la durée et avec détermination. Si l'on veut inverser la courbe du chômage, les bonnes intentions et les incantations ne suffisent pas : il faut impérativement alléger la législation sur les licenciements qui est dissuasive à l'embauche et favoriser les investissements par un système d'amortissement accéléré et par un rétablissement du canal du crédit et des fonds propres des PME.


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