Heureux comme un salarié français en mai. Avec quatre jours fériés dont aucun ne tombe le week-end, les Français vont pouvoir souffler et multiplier les ponts. 2013 est un grand millésime pour les salariés: seul le 14 juillet tombe un dimanche et l’on compte à peine 251 jours ouvrés, le plus faible total depuis 2006! Mais faut-il s’en réjouir alors que l’activité devrait stagner cette année?
Selon l’Insee, l’impact négatif du calendrier serait en théorie de 0,1 point de PIB en 2013, soit 2 milliards d’euros, à cause de deux jours chômés en plus par rapport à 2012 ; l’année passée avait notamment bénéficié de l’effet "29 février". C’est l’industrie qui est la plus affectée car les ouvriers ne travaillent en principe que les jours ouvrés.
Ce que font des ponts les constructeurs automobiles
L'exemple du secteur automobile est patent. Obligée de se livrer à quelques acrobaties calendaires, l’usine Toyota d’Onnaing, près de Valenciennes, a ainsi accordé un pont à tous ses salariés du 8 au 12 mai. Mais, "deux samedis matins ont été travaillés en mars pour rattraper par avance le vendredi 10 mai", explique le directeur général François-Régis Cuminal. Quant au lundi de Pentecôte (20 mai), il ne sera pas chômé mais une journée sera offerte entre Noël et le jour de l’an. Au final, l’usine verra tout de même sa production mensuelle amputée de 5 % en mai.
Chez Renault, les jours fériés seront rattrapés le week-end sur la base du volontariat (et payés en heures supplémentaires). L’usine de Douai tournera ainsi durant deux samedis en mai tandis que Flins a prévu cinq samedisde fin avril à début juin et ses ouvriers pourront aussi venir travailler entre les 8 et 11 mai.
Les concessionnaires aussi tournent au ralenti
"Entre les livraisons ralenties et le peu d’activité commerciale, c’est tout le secteur automobile qui souffre au mois de mai, pointe Olivier Lamirault, président des concessionnaires au sein du Centre National des Professions Automobiles. Nous sommes plus touchés que les constructeurs car nous ne pouvons pas annualiser le temps de travail ni avoir recours au chômage technique compte tenu des délais légaux pour le mettre en place." Il table sur une baisse globale du chiffre d’affaires de 15 % pour les concessionnaires.
"Peut-être plus parce que le vendredi 10 mai, même ouvré, sera un mauvais jour pour les ventes." Gérard Grau, président des concessionnaires de Citroën, confirme ce constat : "le mois de mai est toujours une période compliquée. Les clients ont tendance à partir en week-end, pas à venir visiter nos concessions. En revanche, cela correspond à un pic d’activités pour nos activités de dépannage et de service après-vente."
Même son de cloche du côté du groupe allemand MAN, filiale de Volkswagen, qui produit notamment des poids lourds et possède en France une vingtaine de garages spécialisés pour en assurer la maintenance. "Pour assurer les réparations urgentes, nous devons faire travailler les équipes en heures supplémentaires pendant les jours non fériés, explique Jean-Yves Kerbrat, directeur général de MAN France. Entre ce surcoût et la baisse d’activité liée aux jours fériés, nous nous attendons à un chiffre d’affaires en baisse de 10% par rapport à avril."
Les usines lissent le plus possible leur activité sur l'année
Dans son usine de Saint Nazaire, où 600 personnes fabriquent les moteurs de super tankers et de centrales nucléaires, la production du mois de mai a été réduite à 18 jours. "Mais ce ne sont pas des activités à cycles courts, précise Kerbrat. Un seul moteur demande plusieurs mois de travail, nous avons donc lissé la production et ce sera imperceptible sur l’année."
Chez Airbus, on arrive même à adapter les rythmes de travail pour maintenir la cadence au cours du mois: 52 avions dont 15 A 320 et 10 A330 fabriqués à Toulouse. "Compte tenu de nos cycles (longs) de production, ce genre d’aléa de calendrier est anticipé par les managers et n’a pas d’effet sur les rythmes de production" explique-t-on chez le géant aéronautique. Françoise Vallin, déléguée syndicale de la centrale CFE-CGC, confirme : "Il y a toujours un tassement de l’activité avec le 1er mai, le 8 mai, et l’Ascension. Mais le fléchissement est "récupéré" sur la deuxième quinzaine où on livre traditionnellement plus d’avions. C’est le même défi que pour la rentrée de septembre, où l’on carbure jusqu’à la fin de l’année pour rattraper l’été."
L'OFCE est moins pessimiste que l'Insee
Malgré les péripéties de mois de mai, l’industrie ne devrait toutefois pas trop mal s’en sortir cette année. Et, paradoxalement, c’est grâce à la crise. "Avoir plus de jours fériés quand on est en haut de cycle, c’est ennuyeux car les usines tournent à plein régime et les entreprises ne peuvent pas répondre à toute la demande", explique Eric Heyer, économiste à l’OFCE. Or, actuellement, les carnets de commandes domestiques et étrangers sont jugés très peu étoffés par les industriels.
Le taux d’utilisation des capacités de production plafonne à 81%, quatre points en dessous de sa moyenne de long terme. Les entreprises peuvent donc faire davantage tourner la machine à d’autres moments du mois ou de l’année pour se rattraper. Pour Heyer, l’impact macroéconomique des jours fériés sera donc, au final, négligeable, sans doute inférieur aux 0,1 point de PIB prévus théoriquement par l’Insee.
Une aubaine pour le secteur du tourisme
Dans certains secteurs, comme la restauration ou le tourisme, les professionnels se frottent même les mains. D’autant que les ponts de mai coïncident avec les vacances scolaires des Parisiens et des Bordelais. Du coup, en ajoutant un ou deux jours de congés ou de RTT, il est possible d’obtenir une vraie semaine, au grand plaisir des tour-opérateurs. "Les réservations en avril ont augmenté de 30% par rapport à avril 2012 ", se félicite Corinne Louison, directrice générale adjointe de Directours. Destinations phares pour les week-ends : Istanbul (+40%), mais aussi Rome, Venise, puis Barcelone et Lisbonne.
Un jugement confirmé par Isabelle Pinson, directrice générale d’Expedia.fr, leader mondial des voyages en ligne : "Nous avons constaté pour les ponts de mai une forte demande d’échappées dans les plaines marocaines ou de séjours à Barcelone." Chez Expedia.fr, on note aussi que les Français profitent de ce mois pour visiter leur pays, plutôt en famille. Paris, Disneyland Paris, le sud de la France et la Bretagne sont les destinations les plus prisées.
Les tour-opérateurs se réjouissent aussi que certains clients aient choisi des destinations lointaines pour ces deux premières semaines de mai. "New York est largement en tête", remarque Corinne Louison. C’est aussi la destination qui arrive à la première place des destinations les plus réservées chez Expedia.fr. Mais les Seychelles, Maurice, la Crète, le Maroc sont également plébiscités. Le plus difficile pour les tour-opérateurs a souvent été de trouver des disponibilités aériennes, d’autant que les clients réservent de plus en plus tard.
La SNCF fait le plein de voyageurs
De son côté, la SNCF enregistre 150.000 voyageurs supplémentaires par rapport à mai 2012 (8,35 millions de voyageurs au total sur le mois). C’est surtout le pont du 7 au 12 mai qui affiche complet : "on obtient un taux moyen d’occupation de plus de 95% sur les TGV qui s’élève même à 100% sur les TGV Atlantique et TGV Sud-Est", se réjouit la direction. Le groupe public a aussi donné un petit coup de pouce en lançant une promotion fin avril en vue du mois de mai : "Partez à 2 payez pour 1". De quoi engranger 40.000 clients de plus. Une bonne nouvelle sachant que les résultats du premier trimestre pour les TGV français sont préoccupants, avec un recul de –2%. Vive le mois de mai !
David Bensoussan avec Vincent Lamigeon, Anna Rousseau, Francine Rivaud et Pauline Dammour.